Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Carole Mathieu, chercheuse au Centre Énergie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Laurent Fabius, Rouge Carbone (Éditions de l’Observatoire, 2020, 256 pages).

2020 devait être une année charnière pour les négociations climatiques internationales. Cinq ans après son adoption, l’accord de Paris entrait en application, et l’ensemble des États étaient invités à présenter de nouveaux engagements à l’occasion de la COP26, prévue à Glasgow en novembre. Dans la perspective de ce « moment de vérité », Laurent Fabius entendait dresser un bilan des progrès accomplis depuis la COP21, la grande conférence sur le climat qu’il avait préparée et présidée en sa qualité de ministre des Affaires étrangères.

La crise du COVID-19 a toutefois conduit au report de la prochaine COP à 2021, et la publication de Rouge Carbone intervient finalement en décalage de l’agenda diplomatique. Mais l’analyse conserve sa pertinence : elle est utilement complétée par un parallèle entre crises sanitaire et climatique, et contribue à la réflexion au long cours sur les ressorts de la coopération internationale autour des enjeux environnementaux.

Sans surprise, Laurent Fabius souligne la nécessité et l’urgence du combat climatique en s’appuyant sur les derniers travaux des climatologues, des institutions internationales et des organisations non gouvernementales. Il relève l’insuffisance des efforts déployés pour maîtriser l’évolution des émissions mondiales, précise les difficultés à entretenir la dynamique alors que les conséquences du réchauffement climatique sont perçues de manière diffuse et collective, et pointe la nécessité d’une conception élargie des enjeux environnementaux associant climat, biodiversité et lutte contre la pollution. Se référant à l’état actuel des connaissances, Laurent Fabius tente également de définir des attentes raisonnables concernant les différents leviers d’action, comme le déploiement des technologies bas-carbone ou le verdissement de la finance.

Son propos gagne en originalité lorsqu’il évoque la position des grands pays émetteurs dans les négociations climatiques, à commencer par celle des États-Unis de Donald Trump. Là où d’autres minimisent la portée de l’élection présidentielle de 2016, Laurent Fabius voit une calamiteuse régression, qui a conduit à un tel relâchement de la pression internationale que les autres parties refusent aujourd’hui les avancées nécessaires. Le président de la COP21 reconnaît alors que l’accord de Paris est appliqué de manière déficiente, mais il tempère aussi les arguments de ceux qui dénoncent l’inefficacité de la négociation interétatique au sein des Nations unies. Il rappelle utilement que les COP sont la seule occasion de confronter les États à leurs responsabilités sous le regard de l’opinion mondiale. Toutes les initiatives sont bienvenues, mais aucune ne peut remplacer les engagements formels des États et le suivi de leur application.

S’il défend la complémentarité entre grandes décisions et petits gestes, Laurent Fabius soutient aussi que les négociations climatiques gagneraient en efficacité si un temps plus long était consacré à l’examen comparé des résultats nationaux, ou encore si les gouvernements étaient appelés à formuler des plans de transition juste, incluant des mesures d’accompagnement des secteurs intenses en carbone. Comme la crise du COVID-19 invite aux remises à plat et qu’il n’est plus nécessaire de préparer la COP26 dans la précipitation, il faut espérer que certaines de ces pistes seront explorées sérieusement.

Carole Mathieu

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