Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Claude-France Arnould, conseiller pour les affaires européennes pour l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Sylvie Bermann, Goodbye Britannia : Le Royaume-Uni au défi du Brexit (Stock, 2021, 264 pages).

Goodbye Britannia n’est pas qu’un adieu attristé d’une ambassadrice pleine d’empathie, de culture et d’humour – qui peut aussi être français. Mais c’est aussi le récit d’un pending accident, aussi prévisible qu’imprévu, et de la situation qui en résulte.

L’insularité, la nostalgie d’un passé glorieux et mythifié – que les Britanniques raillent eux-mêmes comme « jingoïsme » –, une compréhension et une attente vis-à-vis de l’Union européenne (UE) qui divergent de celles, fondamentalement politiques, des six fondateurs, et une presse « de caniveau » farouchement anti-européenne et xénophobe dessinent une sorte d’idiosyncrasie britannique qui rendait le pari de David Cameron téméraire.

Néanmoins, tout n’est pas singulier dans le Brexit. Nous sommes tous exposés au désir de « reprendre le contrôle », et au divorce entre les élites et la population. Nous ne sommes pas à l’abri de l’irresponsabilité qui pousse à mettre en jeu l’avenir d’un pays dans une manœuvre de politique intérieure ou d’ambition personnelle, ni d’un mensonge comme celui qui a mené le peuple britannique à se couper de l’Europe.

Sylvie Bermann accompagne son analyse, fondée sur une profonde intelligence des facteurs historiques, sociaux, économiques, culturels, de savoureux portraits des protagonistes, de Theresa May à Boris Johnson : elle ne ménage pas ce dernier, tout en évoquant l’étonnante séduction qui l’a rendu si dangereux.

Son livre nous offre plus qu’une analyse du Brexit. Elle y évoque la relation, si ambivalente, avec la France, mais aussi avec l’Allemagne – y compris dans cette résistance, héroïque autant qu’imaginaire, au « quatrième Reich » que risquerait de devenir l’UE… L’Angleterre, une fois encore, comme au siècle dernier, résisterait… seule, dans la lignée de Churchill.

L’auteur décrit les enjeux de politique internationale, à la lumière d’une carrière d’ambassadeur qui lui donne une exceptionnelle multiplicité d’angles de vue : ambassadeur à l’UE, à Londres, en Chine puis en Russie, directeur pour les Nations unies entre-temps, elle a acquis une expérience qui éclaire la réflexion sur les stratégies des puissances, le multilatéralisme et les intérêts européens. Par moments, elle en oublierait presque le Royaume-Uni, ce qui est significatif : dans ce grand jeu mondial, que pèsera-t‑il demain, même s’il reste uni ?

Trois mois après la mise en œuvre de l’accord définissant la nouvelle relation du pays avec l’UE, la perspective peu optimiste que dessine Sylvie Bermann pour un Royaume-Uni superbement seul, mais confiant en sa relation spéciale avec les États-Unis et en ses liens avec le Commonwealth, se rêvant en Singapour on Thames commence-t‑elle à être démentie par les faits ? Oui, diront certains. Après une gestion désastreuse de la pandémie, et en dépit du nombre de morts le plus élevé en Europe, le Royaume-Uni a gagné la bataille de la vaccination, augmente son budget de défense, publie une ambitieuse stratégie globale visant au statut de super puissance technologique, et prévoit d’accroître le nombre de ses têtes nucléaires. Mais, alors que Boris Johnson se vantait d’avoir établi une solide relation avec des « amis », la relation avec l’UE s’engage si mal que les commentateurs la voient durablement déterminée par une négociation non seulement « sans fin », mais difficile et tendue, alors que les troubles en Irlande du Nord valident les inquiétudes sur l’effet du Brexit sur la paix et l’unité du Royaume. Les clés de lecture que nous propose Sylvie Bermann n’en sont que plus pertinentes.

Claude-France Arnould

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