Le 19 juin dernier sur France Culture, dans son émission « La Bulle économique », la journaliste Marie Viennot a cité l’article de François Geerolf et Pierre Jacquet, « La dette publique est-elle un problème ? », paru dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2021).

15 juin 2021. C’est un jour historique pour l’Union européenne. La commission a officiellement rejoint cette semaine le club des institutions publiques parties pour s’endetter beaucoup et à long terme, et la Présidente de la Commission européenne s’en félicite avec ces mots. 

La commission vient juste d’emprunter 20 milliards d’euros, jamais un tel montant n’avait été emprunté par l’Europe. Ursula Von Der Leyen. 

20 milliards cette semaine, 100 à 150 milliards par an jusqu’en 2026. Ainsi sera financé le plan de relance européen à 800 milliards : par la dette. Et tout le monde s’en félicite dans l’Union européenne. On ne condamne pas, au contraire, ce surcroît d’endettement public. 

Au contraire, c’est perçu comme un saut qualitatif et institutionnel majeur. 

Ce n’est pas la première fois que la Commission européenne émet de la dette sur les marchés financiers, elle a commencé dans les années 70, mais jusqu’à cette semaine elle le faisait à petite échelle, et la plupart du temps, quand elle empruntait, c’était pour prêter ensuite à des États qui devaient la rembourser. La commission n’était en quelque sorte qu’un intermédiaire. 

L’emprunt de cette semaine est d’une nature radicalement différente. La grande nouveauté, c’est que ce n’est pas à due concurrence de ce qu’ils auront reçu, que les États rembourseront la commission. Certains paieront plus qu’ils ne reçoivent. 

Cette dette est dite mutualisée, il est là le saut. Impensable avant la pandémie. 

Et le remboursement ? A voir plus tard… 

Pour la petite histoire, on retiendra que pour les 20 milliards qu’elle cherchait, la commission s’est vue proposer 140 milliards d’euros. Les émissions de dette sont comme des enchères, l’emprunteur choisit ensuite les investisseurs les plus offrants, c’est-à-dire ceux qui proposent le taux d’intérêt le plus faible, et pour cet emprunt sur 10 ans, il l’est : les intérêts sont inférieurs à 0,1%.  

 » La preuve que la commission est attractive  » , s’est félicitée la présidente de la commission. 

La petite histoire retiendra aussi que pour placer sa dette auprès des investisseurs, la commission européenne a exclu les banques qui ont été récemment prises la main dans le sac pour avoir truqué les marchés. Citigroup, JPMorgan Barclays, Deutsche Bank, Crédit Agricole et 5 autres banques n’ont pas été acceptées comme intermédiaires. 

Ce qu’on dit moins, c’est qu’au moment où la commission européenne s’apprête à devenir l’un des emprunteurs majeurs en Europe, la façon dont elle va rembourser cette dette n’est pas encore définie. Comme les remboursements ne doivent pas commencer avant 2027, les chefs d’Etat et de gouvernement ont repoussé cette question essentielle à plus tard.  

Faudra-t-il prévoir une ligne budgétaire : remboursement de la dette dans le prochain budget quinquennal, celui qui commencera après 2027, peut-on d’ici là octroyer à la commission européenne des ressources propres ? Il est notamment question d’une taxe carbone aux frontières, mais les discussions à ce sujet n’ont pas encore commencé. 

Que cette incertitude n’ait pas effrayé les investisseurs montre qu’ils ne doutent pas que l’UE trouvera une solution le temps venu. Cette marque de confiance n’était pas forcément acquise. 

Mais comment expliquer que cette nouvelle dette estampillée UE-Plan de relance ne soit pas vue comme une « preuve de mauvaise gestion », un « fardeau pour les générations futures » ? 

Et bien parce que cette dette là, c’est de la bonne dette. 

C’est quoi la bonne dette ? 

Alors c’est quoi de la bonne dette, comparée à la mauvaise ? 

Dans la théorie néoclassique, la bonne dette, c’est celle qui finance l’investissement, accroît le capital, et le potentiel de croissance de l’économie. 

A ce titre, la dette de la commission coche toutes les cases puisqu’elle va financer, nous dit-on, des projets pour :  » Construire une économie européenne plus soutenable, digitale et résiliente « , comme le dit la Présidente de la commission. 

A l’opposé, la mauvaise dette, entend-on généralement, c’est celle qui finance les dépenses de fonctionnement, typiquement les salaires des fonctionnaires. 

Cette dichotomie entre bonne et mauvaise dette n’est pas que sémantique, elle a des effets bien réels : ainsi les collectivités locales, contrairement à l’Etat, n’ont le droit de s’endetter QUE pour investir.

Mais quelles sont les dépenses publiques qui préparent le mieux l’avenir, s’interrogent François Geerolf et Pierre Jacquet, deux économistes dans un papier intitulé : La dette publique est-elle un problème ? Sont-ce les salaires des professeurs et des soignants, (fonctionnement) ou les ronds-points et salles des fêtes ? (investissement). 

Ce débat n’est pas réellement lancé. La crise du Covid a beau avoir soudain paré de vertus le recours à l’endettement public, elle n’a pas modifié les discours : il y a toujours la bonne dette, la mauvaise, et leur définition ne change pas.  

« Le disque LaDettePubliqueC’estMal passe toujours — inusable, il traverse la pénurie organisée des lits d’hôpitaux en plein Covid comme il a traversé l’équarissage de la Grèce » écrit Sandra Lucbert, auteure, en préambule de son podcast sur la dette intitulé « Feuilletonner la guerre de position ». 

Et pendant que l’on encense la nouvelle dette européenne, on parle déjà en France de limiter bientôt les dépenses publiques, (dès la crise passée recommande la Cour des Comptes dans un rapport rendu cette semaine au gouvernement), et de leur fixer des objectifs à ne pas dépasser, comme ce fut fait et se fait encore pour l’hôpital public, avec les résultats que l’on sait. 

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