Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Dominique David, rédaction en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Georges-Henri Soutou, L’action extérieure de la France (PUF, 2020, 576 pages).

L’Académie des sciences morales politiques a entendu en 2019, sous la présidence de Georges-Henri Soutou, une remarquable série de communications sur l’action extérieure de la France, que reprend cet épais ouvrage. Son intérêt majeur est de tenter de cerner l’actualité de cette action extérieure : ses objectifs, ses moyens, la manière dont elle est reçue, à partir de métiers divers (universitaires, politiques, haut-fonctionnaires) et de points d’observation multiples (français et étrangers).

On sait comme cette action extérieure est centrale dans la définition même de notre culture nationale. Elle doit pourtant être aujourd’hui repensée, dans un monde en voie de dés-occidentalisation accélérée (Jean-David Levitte) et où les intérêts nationaux s’affirment en concurrence de plus en plus ouverte et brutale (Thierry de Montbrial).

Pour une France dont l’un des péchés préférés consiste à se rêver au centre du monde, il est salutaire de s’interroger sur la vision des autres. Parmi de multiples points de vue – on aurait d’ailleurs aimé avoir un « vu de Moscou »… –, on remarquera le « vu de Pékin » de Marianne Bastid-Bruguière : il existe d’autres mondes que le nôtre, et celui qui s’ouvre n’aura pas vraiment la France pour pôle. Et s’étonnera-t‑on franchement de ne trouver, dans la longue narration du Brexit par John Rogister, nulle mention de la négociation menée par David Cameron avec l’Union européenne avant le fatidique référendum ? Comme si celle-ci n’avait été qu’un ballet d’ombres…

Les moyens d’influence (soft power) sont ici bien présents : influence des conceptions juridiques françaises, action culturelle proprement dite, place sur le marché de l’art, rôle des scientifiques français (ce dernier ayant été particulièrement interrogé par la pandémie de 2020…).

Sur le couple diplomatie/défense, on remarquera la contribution de Louis Gautier. Il y réaffirme à la fois la pertinence de l’échelon européen pour penser notre sécurité intérieure ou extérieure, et l’échec des projets régulièrement proclamés. Il ne s’agit pas de désespérer du projet de sécurité commune, mais de prendre conscience que le rapprochement des conceptions et appareils européens ne peut intervenir qu’à long terme, en empruntant des voies plus lentes, moins visibles que les plans faits pour le spectacle politique.

Enfin, en un temps où les impasses apparentes de nombre d’opérations militaires extérieures animent le débat public, on lira avec grand intérêt les communications qui leur sont consacrées – particulièrement celles de Benoît d’Aboville et du général Bentégeat –, qui cadrent le débat politique et militaire. Avec quels moyens intervenir ? Avec quels partenaires, tant il est vrai que l’action solitaire appartient au passé ? Comment identifier l’objectif stratégique, et le terme même de « victoire » est-il toujours approprié ? Et si non, quel est le sens de l’action militaire ?

On ne peut ici résumer la richesse de ces 28 interventions. Si l’action extérieure est une évidence pour toute unité politique, elle nous est, une fois encore, particulière, constitutive de la manière dont la France se pense et est présente au monde. Ce constat, hérité d’une histoire prestigieuse, ne devrait pas empêcher de repenser les objectifs et les moyens de cette action dans un monde qui n’a désormais que peu à voir avec les temps de nos plus grandes gloires. Sans conteste, ce livre intervient à point nommé.

Dominique David

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