Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Nicolas Hénin propose une analyse de l’ouvrage de Hakim el Karoui et Benjamin Hodayé, Les militants du djihad : portrait d’une génération (Fayard, 2021, 336 pages).

Ce livre résulte de l’étude de 1 460 profils de djihadistes européens, dont une moitié de France, l’autre du Royaume-Uni, d’Allemagne et de Belgique, les auteurs ayant limité leur échantillon à ceux qui sont passés à l’acte ou ont cherché à le faire.

L’ouvrage se concentre sur les engagements dans le djihadisme au cours de la dernière décennie (2010-2019), l’enquête s’appuyant sur les sources ouvertes, principalement de presse. Les auteurs affirment avoir composé « la plus grande base de données non étatique » sur le phénomène. En France, la précédente étude du genre s’appuyait sur 137 profils[1]. Les études statistiques de larges échantillons sont primordiales, car elles permettent de fonder des conclusions argumentées, de comprendre les parcours d’engagement (origine géographique, catégorie socio-professionnelle, relation à la religion, structure familiale, fragilité psychologique, etc.) et d’élaborer des politiques de prévention.

La principale conclusion est ici l’homogénéité des profils français. Le djihadiste européen est un homme jeune, de 24-25 ans, ayant grandi dans un quartier pauvre de métropole à forte population musulmane. Le plus souvent, il est ressortissant de son pays de résidence, où il est né, même si dans deux tiers des cas sa famille est d’origine étrangère. Ce simple constat suggère que l’engagement dans le terrorisme est plus une question d’intégration et d’identité que d’immigration à proprement parler. Un tiers de ces djihadistes sont des convertis, notamment pour les femmes.

Parmi les différences entre échantillons, on note que les djihadistes français sont plus en situation de rupture, ou d’échec, que leurs homologues anglais, parmi lesquels on trouve davantage d’ingénieurs ou de médecins. Une analyse des profils professionnels montre que les métiers liés à la sécurité (agent de sécurité, pompier…) sont sur-représentés. Enfin, on sait depuis Marc Sageman combien le terrorisme est affaire de réseaux de socialisation. En France, le recrutement s’est fait autour de hubs de radicalisation bien connus : Lunel, Nice, Roubaix, Strasbourg, Toulouse ou Trappes. L’ouvrage est moins affirmatif sur le lien entre religion et djihad, même s’il décrit une connexion entre conservatisme, rigorisme et revendications identitaires. Mais tous les djihadistes sont loin d’être passés par un « sas salafiste ».

Les auteurs tentent de dessiner deux scénarios pour le « djihadisme des années 2020 ». Le premier reposerait sur des actions violentes plutôt dirigées vers le territoire national, à défaut de disposer de zones d’émigration. Le second est qualifié de « djihadisme idéologique » et découlerait d’une stratégie d’affrontement politique, non violente mais virulente, d’une frange salafiste. Les expériences passées de Forsane Alizza, Sharia4Belgium ou Al-Muhajiroun au Royaume-Uni tendraient plutôt à relier les deux scénarios.

Les auteurs ont réalisé un énorme travail de collecte et d’exploitation des données. Leurs conclusions sont pourtant fragilisées par la culture administrative française et européenne, qui leur a interdit d’accéder à des données plus exhaustives que celles de la presse. Si ce livre montre la puissance de la donnée, il constitue aussi un plaidoyer pour la création d’une base équivalente à celle dont les États-Unis se sont dotés avec PIRUS (Profiles of Individual Radicalization in the United States), de l’université du Maryland.

Nicolas Hénin

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[1] M. Hecker, « 137 nuances de terrorisme. Les djihadistes de France face à la justice », Focus stratégique, no 79, Ifri, avril 2018.