Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Hans Stark, conseiller pour le Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Élie Cohen et Richard Robert, La valse européenne. Les trois temps de la crise (Fayard, 2021, 480 pages).
Élie Cohen, économiste et directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et Richard Robert, éditeur du think tank Telos, livrent une analyse globale, fine et extrêmement détaillée de la « polycrise » que traverse l’Union européenne (UE) depuis maintenant plus de dix ans. L’ouvrage est structuré en quatre parties. La première traite des crises « en cours » : celle du Covid-19 et la réponse financière apportée dans la douleur fin 2020 par les États membres via le fonds pour la relance, les crises extérieures de 2013-2018 – le conflit russo-ukrainien et la crise migratoire –, puis la crise du multilatéralisme des années 2016-2020 avec le binôme « Trump-Brexit ».
Face à ces défis, les auteurs estiment que l’Europe réagit souvent en trois temps. D’abord en se montrant submergée et désordonnée. Puis en se divisant lorsqu’il s’agit de faire face. Enfin, au bord du précipice, en trouvant in extremis une parade préservant l’essentiel : l’UE. Les auteurs estiment que « l’Union marche sur le fil du rasoir. Mais elle tient ». Cette approche « en trois temps » domine aussi la logique de la deuxième partie du livre, entièrement consacrée à la crise de l’euro 2007-2012, décortiquée en cinq actes (2009-2012) précédés d’un prologue (2007-2009) et suivis d’une mise en perspective de la crise de l’euro (qui dure).
On trouve ici une analyse aussi passionnée qu’objective de la tragédie grecque, du décrochage des pays du sud de l’eurozone, et surtout des incohérences du « couple » franco-allemand. Les auteurs ne se montrent cléments ni avec la France – dont les problèmes économiques seraient pour l’essentiel home-made –, ni avec l’Allemagne – néomercantiliste, et qui n’a jamais su assumer les responsabilités qui sont les siennes, même si in fine elle ne s’est pas opposée, sous Draghi, au sauvetage de la zone euro par la Banque centrale européenne (BCE). Autant dire que la gestion de la crise de l’euro n’est pas à mettre à l’actif de la chancelière Merkel.
La troisième partie étudie la montée des partis dits « populistes » dans l’UE, et la tentation de l’exit, à partir des cas de la Grèce, du Royaume-Uni, de l’Italie, de la France et de l’Allemagne. Pour les auteurs, aussi imparfaite qu’elle soit, l’UE offre un espace hors duquel – et Cohen et Robert se montrent ici très convaincants – il n’y a guère de chance d’améliorer le sort des Européens. On regrettera peut-être l’absence d’analyse des trajectoires de la Hongrie et de la Pologne, qui semblent tourner le dos à l’UE, tout en y restant… On aurait également pu ici insister sur la politique migratoire et d’asile de l’UE, et sur les failles du dispositif « de Dublin ».
La dernière partie traite des incohérences structurelles de l’UE, qui affiche les caractères d’un État qu’elle n’a pas vocation à devenir et fonctionne sur la logique d’une organisation internationale qui s’avère impuissante à gérer un ensemble à 27. Sans parler des tensions permanentes entre dynamiques supranationales et intergouvernementales, et entre fédéralisme et risque d’éclatement.
Trois chapitres, traitant de l’avenir de la zone euro, de la « politique de puissance » et des enjeux institutionnels couronnent cette remarquable analyse, avant une conclusion sous forme de perspectives : « 10 pistes pour l’Europe ». Un ouvrage intelligent, magistral et indispensable.
Hans Stark
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