Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Damien Carrière propose une analyse de l’ouvrage de Myra MacDonald, White as the Shroud: India, Pakistan, and War on the Frontiers of Kashmir (Hurst, 2020, 224 pages).
L’Inde et le Pakistan sont aux prises sur les hauteurs inhospitalières du glacier du Siachen dans l’Himalaya depuis 1984. Sauf escalade majeure, peu probable entre deux puissances nucléaires, aucune des deux armées ne peut espérer de victoire tactique sur ce champ de bataille très circonscrit, en raison du terrain implacable de très haute altitude. C’est là qu’est tout le paradoxe : le glacier du Siachen, à plus de 6 000 mètres d’altitude, est inhabitable. Le froid et les conditions météorologiques y tuent plus que les obus ennemis. Il est dénué de valeur stratégique, extrêmement coûteux à ravitailler et à défendre, mais un repli militaire est pourtant impensable pour des raisons politiques et symboliques. Les tensions récentes entre la Chine et l’Inde sur les hauteurs himalayennes attirent de nouveau l’attention sur ce champ de bataille hors d’atteinte et loin des yeux.
Myra MacDonald, cheffe du bureau Reuters en Inde, s’attache à raconter en détail les conditions de vie particulièrement difficiles des soldats indiens et pakistanais déployés en très haute altitude pour des périodes de plusieurs mois. Dans ces conditions extrêmes, le corps humain peut à peine s’alimenter, se consume lui-même. Les soldats, affectés tant physiquement que psychologiquement par l’altitude, sont à peine capables d’actions tactiques coordonnées et suivies, tout en étant à la merci de fréquents changements météorologiques. Ces conditions n’empêchent pas l’héroïsme et le courage, Myra MacDonald raconte ainsi, entre autres faits de guerre, comment certains soldats pakistanais se sont fait hélitreuiller un à un jusqu’à leurs positions de combat, risquant engelures et œdèmes, pour prendre des positions plus avantageuses sur les montagnes.
Elle resitue ainsi ce conflit gelé dans la longue histoire de la région himalayenne, ce qui permet de montrer la responsabilité relative des explorateurs et administrateurs britanniques dans la transformation en cul-de-sac de ces frontières, autrefois lieu de passage pour les nomades.
L’opération indienne de 1984 sur le glacier du Siachen devait être une reconnaissance estivale sur un territoire non militarisé. La réaction de l’armée pakistanaise, qui a cru à une invasion, a figé les deux camps dans une posture militaire et politique dont ni les uns ni les autres ne peuvent sortir sans être ceux qui ont « lâché un pouce de terrain ». Incapables désormais de reculer du front qu’ils ont eux-mêmes ouvert, les Indiens en sont réduits à défendre coûte que coûte un glacier alimenté par une seule route, qui s’enfonce comme un coin entre le Pakistan et la Chine et qui n’a qu’une valeur symbolique.
Myra MacDonald reprend et étend un travail déjà publié en 2007, période durant laquelle elle a pu visiter les positions indiennes et pakistanaises. Son approche narrative, fondée sur son expérience du terrain, fait entendre les voix des Indiens comme des Pakistanais et donne à ressentir tant la difficulté du combat que l’absurdité de cette guerre oubliée. Cette approche tend à figer quelque peu le propos au milieu des années 2000. L’auteur élargit cependant son analyse à la guerre de Kargil, perdue militairement et diplomatiquement par le Pakistan, dans le cadre plus général des escarmouches de haute montagne entre les deux pays.
Damien Carrière
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