La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article de notre nouveau numéro de Politique étrangère (n° 4/2021), disponible à partir du 10 décembre : Thierry de Montbrial, « La politique étrangère de la France : un cap pour les trente prochaines années ».

Peut-on tenter de définir une politique étrangère ?

Évitons une première confusion, bénigne mais qui existe cependant, entre ce qu’on nomme la « géopolitique » et la « géographie politique ». En France, on définit souvent la géopolitique à partir de l’approche d’Yves Lacoste : les « représentations » relatives aux territoires. Je préfère l’expression plus précise : les « idéologies » relatives aux territoires. Le mot idéologie est ici pris dans le sens de « système d’idées ». Ce que nous pensons des espaces géographiques, des populations qui y vivent, ne constitue pas une représentation abstraite mais est profondément ancré au cœur de chacun, dans les têtes de chacun, dans des montages idéologiques qui habillent aussi des intérêts divers.

Mais beaucoup de problèmes internationaux s’inscrivent dans une logique géographique clairement extérieure à l’ordre idéologique. Par exemple, la régulation du trafic aérien civil ou nombre de problèmes économiques, d’un point de vue pratique, relèvent de logiques de politiques géographiques, ou de la géographie politique. Ce qu’on nomme la « géopolitique » ne recouvre donc pas la totalité du champ des questions territoriales.

Deuxième confusion : entre « géopolitique » au sens précis ou au sens commun et « politique internationale », confusion beaucoup plus grave en ce qu’elle traduit une vision implicitement déterministe de l’histoire. En identifiant géopolitique et politique internationale, on insinue que celle-ci est strictement déterminée par les caractéristiques territoriales, que les éléments territoriaux annihilent la liberté de décision. En réalité, les choix de politique internationale ne sont pas déterminés de manière univoque par la géographie politique.

Les États sont dirigés par des gouvernements. Ces derniers, pour transposer le conatus de Spinoza, s’assignent pour mission fondamentale la « persévérance de l’État dans son être ». La question de l’identité se pose donc immédiatement : le conatus spinozien ne peut prendre un sens opérationnel que si l’« être » dont on parle est vécu comme tel, dans le cas d’un État par la grande majorité de ses citoyens – exigence d’autant plus problématique que les unités politiques ont un horizon temporel dépassant largement celui de leurs membres individuels du moment. Quand de Gaulle disait « la France », il ne la réduisait pas à ses compatriotes contemporains.

On parle de plus en plus aujourd’hui, même pour ce qui concerne nos États développés, d’« identités fragmentées ». Si le but d’un gouvernement est de gérer la persévérance de l’État dans son être, toute fragmentation est un obstacle. Disons clairement que la politique étrangère ou extérieure d’un État ne peut pas être fonctionnellement efficace si cet État est trop fragmenté. On pense aux États fragiles, ou faillis, mais les États solides sont aussi interrogés par ce problème. D’où l’importance, dans un État démocratique comme la France, de débats approfondis pour l’élaboration d’une politique étrangère consensuelle adaptée à la réalité de temps nouveaux.

Pour la France, différentes politiques étrangères sont-elles imaginables ?

Le premier principe de toute politique gouvernementale renvoie donc au conatus, avec une version externe – la politique étrangère – et une version interne – la politique intérieure –, étant entendu que dans la réalité les deux interfèrent. Plus l’être même de l’acteur est fragmenté, plus il y a de mal-être et plus les considérations internes interfèrent avec la dimension extérieure. L’être de la France d’aujourd’hui a-t-il beaucoup changé par rapport aux décennies précédentes, est-il suffisamment stable, cohérent, permet-il de formaliser une politique étrangère consensuelle ? On pense évidemment ici aux travaux récents de géographes ou de sociologues mettant en lumière une fragmentation croissante de notre pays. Mais il faut aussi se référer à des pionniers comme André Siegfried pour se rendre compte que les grandes variétés de situations politico-sociologiques à l’intérieur d’un pays ne signifient pas nécessairement que ce pays soit mal dans son être. La diversité n’est, en soi, pas incompatible avec le ressenti d’un être commun, auquel on appartient solidairement. Jusqu’à récemment, les États-Unis étaient à cet égard un cas d’école. La question devient alors : qu’est ce qui permet de faire tenir ensemble la diversité ? La véritable fragmentation intervient quand les unités qui composent la « grande unité » ne se sentent plus en faire partie, ou n’y sont pas à leur aise.

Des sociétés qui succombent à un vertige d’autodestruction – en privilégiant le discours idéologique sur ce qu’elles sont plutôt que le pragmatisme de la coexistence ; en versant dans le « localisme » sous prétexte de critique de
l’« occidentalisme » ; en s’enfermant dans une posture « pénitentielle » en référence à leur propre histoire… – ne peuvent pas engendrer une politique étrangère structurellement stable. […]

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