Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Michel Boivin propose une analyse croisée de deux ouvrages sur le Pakistan : Asma Faiz, In Search of Lost Glory: Sindhi Nationalism in Pakistan (Oxford University Press, 2021, 288 pages) ; Julien Levesque, Pour une autre idée du Pakistan. Nationalisme et construction identitaire dans le Sindh (Presses universitaires de Rennes, 2022, 316 pages).

Ces deux livres s’intéressent à un territoire situé au sud-est du Pakistan, la province du Sindh. Ils s’inscrivent dans une perspective politologique et sont les versions remaniées de deux thèses de doctorat. Les deux ouvrages s’intéressent à la question du nationalisme sindhi, tout en mettant en œuvre des méthodologies et des perspectives différentes. On peut repérer cette distinction dans les titres eux-mêmes : In Search of Lost Glory: Sindhi Nationalism in Pakistan, et Pour une autre idée du Pakistan. Nationalisme et construction identitaire dans le Sindh. L’intérêt majeur des deux ouvrages étant qu’ils se concentrent sur des questions qui sortent des sentiers battus : le Pakistan est d’ordinaire vu comme un bloc monolithique avec l’islam comme ciment, ce qui est loin d’être le cas.

L’hypothèse de travail n’est pas la même chez les deux auteurs, et ils n’ont pas utilisé exactement les mêmes sources. Asma Faiz, dont le travail se base surtout sur les archives britanniques, des sources publiées et des entretiens conduits essentiellement avec des journalistes et des acteurs politiques, pose comme hypothèse que le nationalisme sindhi reflète les travaux d’une communauté à la recherche de sa gloire. Son ouvrage constitue par conséquent une sorte de synthèse des mouvements sindhis nationalistes qui ont éclos après la partition de 1947 : il suit donc, au long des chapitres, une trame chronologique se référant aux différentes étapes de ce mouvement politique.

La problématique développée par Julien Levesque est plus élaborée. Dans une longue introduction, Levesque développe une problématique sophistiquée reflétant la complexité du nationalisme sindhi. Son hypothèse de départ est que « le nationalisme sindhi, en tant que discours et en tant que mouvement, a forgé de manière significative la société et la politique du Sindh au cours du XXe siècle ». Il propose donc une « conceptualisation constructiviste du nationalisme comme discours performatif ». Ce n’est pas le seul point sur lequel les ouvrages se démarquent.

Avant d’en arriver au plus important, on relèvera qu’Asma Faiz a une vision quelque peu particulière des Bhutto : elle qualifie les discours de Zulfikar Ali Bhutto de « curieux mélange de populisme, de nationalisme ethnique et de charisme ». Si le mélange peut sembler curieux, il n’en reste pas moins une idéologie assez courante dans le monde, notamment dans les années 1970. On peut trouver dans ce même ouvrage d’autres assertions étonnantes sur le Parti du peuple pakistanais (PPP). L’auteur paraît par exemple nier que Bhutto et son parti ont initié d’énormes changements au Pakistan : « Même si le PPP n’a pas initié le processus de changement, il est devenu une fonction et un symbole de ce changement » – tout en poursuivant en mentionnant les importantes nationalisations opérées par Bhutto dans différents secteurs de l’économie…

L’apport essentiel du travail de Julien Levesque tient à l’importance qu’il accorde à la culture. Son ouvrage se divise en deux parties : « Trois générations de nationalisme sindhi » et « Le projet nationaliste : culture réifiée et marqueurs identitaires ». Cette deuxième partie, qui fait la richesse et le caractère novateur de cette recherche, intéresse en effet les sciences politiques en général, bien au-delà du Sindh, du Pakistan et toute l’Asie du Sud, en ce que l’auteur restitue le rôle joué par la culture dans le développement des mouvements politiques. La démonstration par laquelle Julien Levesque illustre comment les productions culturelles forment le cœur de l’identité forgée par le nationalisme rend indispensable la lecture de ce livre. On peut sans grand risque augurer que cette démonstration servira de modèle, et pourra donc être ré-employée dans des contextes géographiques différents.

Michel Boivin

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