Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Marc Hecker, rédacteur en chef de la revue, propose une analyse de l’ouvrage de Frédéric Charillon, Guerres d’influence. Les États à la conquête des esprits (Odile Jacob, 2022, 352 pages).

Frédéric Charillon, professeur des universités en science politique et ancien directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, se penche dans ce nouvel ouvrage sur les méthodes déployées par certains États pour développer leur influence sur la scène internationale. Il commence par un cadrage théorique utile, proposant comme base de travail une définition simple : « L’influence consiste pour un acteur A à faire faire par un acteur B ce qu’il n’aurait pas fait autrement, et ce, sans recourir à la contrainte ». Il distingue ce concept d’autres notions comme la propagande, le lobbying ou encore le soft power : « tandis que le soft power est un processus positif de séduction, de conviction, l’influence peut avoir recours à la rémunération ». Autrement dit, la seconde inclut le premier mais ne s’y résume pas.

Après ces considérations théoriques, l’auteur passe à la pratique. Il propose une typologie de l’influence et identifie trois modèles. Le premier, qualifié de « démocratique libéral », est incarné par les États-Unis. Ces derniers ont réussi à combiner puissance et influence pour établir une « emprise sur les esprits, les élites politiques et managériales ». Cette emprise est renforcée par la domination américaine dans le domaine numérique, même si des tensions peuvent exister entre les grandes plateformes privées et le gouvernement qui tente de les réguler.

Le deuxième modèle, dit « impérial », est représenté par la Chine, la Russie et la Turquie. Ces trois pays ont pour point commun de vouloir « réviser un ordre international considéré comme injuste » et « restaurer un ordre régional passé aux mains de puissances extérieures ». Ils usent de méthodes plus brutales, parfois subversives, qualifiées de sharp power. La séduction alterne avec la contrainte, comme le montre l’exemple du « piège de la dette chinoise » qui s’est refermé sur certains États du Sud inclus dans le projet des Nouvelles routes de la soie.

Le troisième modèle, appelé « golfique », s’applique à certaines monarchies du Golfe arabo-persique, qui utilisent la manne financière des hydrocarbures pour diffuser une « influence identitaire » et religieuse. Les méthodes de ces États se sont modernisées ces dernières années, avec l’arrivée d’une nouvelle génération de dirigeants. Toutefois, ils ne parviennent pas réellement à « masquer [leur] autoritarisme sous une modernité plus vendeuse », surtout lorsque des scandales (comme l’affaire Khashoggi) viennent ruiner leurs efforts de diplomatie publique.

Après avoir présenté ces trois modèles, Frédéric Charillon en vient à l’Europe. Le titre cinglant d’un des chapitres « L’Europe démunie, ou le prix de l’angélisme » est néanmoins nuancé dans le corps du texte : la prise de conscience du durcissement des luttes d’influence – et de l’ampleur des moyens que certains États y consacrent – a bien eu lieu. Dans une interview donnée au Spiegel en 2018 alors qu’il était ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, Sigmar Gabriel avait alerté sur les dangers encourus par une Europe « végétarienne » dans « un monde plein de carnivores ». Depuis lors, la crise du Covid-19, l’exacerbation de la rivalité sino-américaine et la montée des tensions en Méditerranée orientale ou encore à l’est de l’Europe n’ont fait que renforcer ce diagnostic. Reste maintenant à se doter des moyens de lutter.

Marc Hecker
Rédacteur en chef de Politique étrangère

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