Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Jean-Louis Rastouin propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Antoine Bernard de Raymond et Delphine Thivet, Un monde sans faim. Gouverner la sécurité alimentaire (Presses de Sciences Po, 2021, 304 pages).

Voici un ouvrage collectif traitant de la lancinante question de l’insécurité alimentaire mondiale, qui accompagne, selon l’expression de Massimo Montanari, toute l’histoire de l’humanité et demeure non résolue à ce jour. Cette problématique est abordée à partir de la crise financière de 2007-2008, caractérisée – notamment – par une très forte volatilité des prix des denrées alimentaires de base. L’approche adoptée par les auteurs est résolument multidisciplinaire, mobilisant sciences humaines et sociales (sociologie, anthropologie, politique, économie, droit, histoire, géographie…) : un choix pertinent s’agissant d’une crise globale multifactorielle, objet de recherche polysémique.

L’ouvrage, qui réunit seize scientifiques confirmés, alterne analyses conceptuelles et empiriques sur l’essentiel du sujet : sémantique mouvante de la sécurité alimentaire, dynamique des régimes alimentaires, structure et acteurs de l’offre, évolution des ressources en terres, gouvernance de la sécurité alimentaire aux échelles nationale et internationale, scénarios de prospective. Deux études de cas très instructives viennent étayer le propos : le programme « Faim zéro » au Brésil, dont on sait qu’il constitue depuis 2015 le deuxième Objectif du développement durable 2030 des Nations unies, et un point de vue critique sur les tentatives d’institutionnalisation du droit à l’alimentation en Inde. La postface interpelle le lecteur de façon convaincante sur les droits humains fondamentaux, dont le droit à l’alimentation, inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme des Nations unies de 1947, constitue une priorité absolue, puisque sans aliments il n’y a pas de vie possible.

La gouvernance sectorielle a beaucoup évolué depuis le premier sommet mondial de l’alimentation (à Rome en 1973), en sophistiquant – souvent inutilement – la définition de la sécurité alimentaire et en multipliant les instances chargées de la gérer. Ce dispositif prend aujourd’hui une forme incluant toutes les parties prenantes : organisations internationales, sociétés civiles (dont les organisations non gouvernementales) et entreprises. Il en résulte des asymétries de pouvoir aujourd’hui plus favorables aux très grandes entreprises de l’agrofourniture et de l’agroalimentaire qu’aux autres partenaires des institutions de gouvernance. Autre signe de dysfonctionnement du mode de gouvernance, l’explosion du phénomène d’accaparement des terres agricoles. Ce « pillage foncier » conduit à un modèle de production agro-industriel épuisant les ressources naturelles et…humaines, en accélérant l’exode rural.

Cet ouvrage remarquable constitue une solide base scientifique pour inciter à l’accélération de la transition socio-écologique. On doit lui souhaiter une large audience, tout en recommandant à leurs auteurs d’ouvrir un nouveau chantier qui s’intéresserait à la crise qui marque le début des années 2020, en faisant une place plus large aux données quantitatives et à la littérature francophone. On constatera alors qu’en 15 ans, peu de chemin a été parcouru. Le dispositif de gouvernance de la sécurité alimentaire des Nations unies constitue un lieu de concertation indispensable. Il doit à présent renforcer son effectivité pour aller vers un « monde sans faim » et une alimentation durable.

Jean-Louis Rastoin

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