Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Maxime Lefebvre propose une analyse de l’ouvrage de Richard Youngs, Rebuilding European Democracy: Resistance and Renewal in an Illiberal Age (Bloomsbury Publishing/I.B. Tauris, 2021, 256 pages).
La démocratie a connu un affaiblissement sérieux en Europe durant les années 2010, en particulier en Hongrie et en Pologne, mais aussi à Malte, en France, en Espagne et ailleurs. Le mérite de Richard Youngs est de montrer que ces attaques, largement dues au courant illibéral et populiste, mais aussi à d’autres facteurs comme l’indépendantisme catalan ou la pandémie de Covid-19, n’ont rien d’un basculement inéluctable vers les valeurs autoritaires et ont aussi généré des réactions contraires.
L’auteur remet en perspective différentes formes de renouveau démocratique à l’échelle européenne : mobilisation citoyenne spontanée dans des manifestations et protestations de masse (par exemple contre les politiques d’austérité ou la corruption) ; consultations citoyennes initiées par les gouvernements (en Irlande mais aussi en France avec le « Grand débat national » lancé par Emmanuel Macron après la protestation des Gilets jaunes et divers référendums organisés en Europe) ; émergence de nouveaux partis remettant en question les partis établis (En Marche en France, Mouvement 5 étoiles en Italie, Ciudadanos et Podemos en Espagne) ; utilisation du numérique (régulation du Net, lutte contre la désinformation, consultation numérique des citoyens en Estonie) ; réponses propres à l’Union européenne (procédures pour le respect de l’état de droit, initiatives citoyennes, Conférence sur l’avenir de l’Europe)…
On peut regretter que Youngs ne mène pas une réflexion plus approfondie sur la démocratie et ses contre-pouvoirs, qui lui aurait peut-être permis de formuler des propositions plus élaborées. Il prend peu en compte la diversité des nations européennes, or on ne gouverne pas un grand pays comme la France de la même manière qu’un petit pays comme l’Estonie, Rousseau avait déjà noté que le gouvernement démocratique convenait davantage aux petits États. L’analyse semble cantonner le populisme et l’illibéralisme à l’extrême droite et omet certains faits importants : en France la « Manif pour tous » et les manifestations pour Charlie, ou la démocratie directe « à la suisse ».
Reste que l’auteur souligne un paradoxe important et intéressant de la vitalité démocratique : le libéralisme politique peut s’opposer à la démocratie majoritaire (Tocqueville avait déjà mis en garde contre la « tyrannie de la majorité ») et les gouvernements « libéraux » se méfient de donner trop de pouvoir et d’influence aux citoyens. L’expérience montre que la participation citoyenne relève souvent plus du symbole que de l’effectif et que la démocratie directe peut s’exercer contre les options libérales (par exemple contre les mariages entre personnes de même sexe).
L’auteur n’encourage pas cette forme de « démocratie contrôlée », sorte de despotisme éclairé, notamment au niveau de l’Union européenne. Il met en garde contre une forme de censure au prétexte de lutter contre la désinformation, même si celle-ci est encouragée par des puissances autoritaires comme la Chine et la Russie. S’il n’a pas de conclusion définitive sur la bonne stratégie contre le populisme d’extrême droite (le confronter aux responsabilités, comme en Italie et en Autriche ? ou l’ostraciser comme en France et en Allemagne ?), il se montre catégorique sur le fait que la résilience démocratique ne peut s’affirmer qu’en tirant pleinement parti des formes de mobilisation et de participation civiques qui se sont épanouies ces dernières années.
Maxime Lefebvre
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