Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Philippe Moreau Defarges propose une analyse de l’ouvrage d’Adam Tooze, Shutdown: How Covid Shook the World’s Economy (Viking, 2021, 368 pages).
La crise du coronavirus peut être analysée « comme la première crise globale de l’Anthropocène – une ère définie par un choc en retour provoqué par notre relation déséquilibrée avec la nature ». Ainsi se refermerait le demi-siècle (1970-2020) de l’âge néolibéral avec sa ligne de partage claire entre le technique et le politique (indépendance des banques centrales des gouvernements, dogme néolibéral des années 1970…). Cette crise multiforme (polycrisis) illustre la contraction massive de l’espace et du temps et les innombrables interactions dues à la mondialisation. Shutdown (fermeture définitive) couvre la période allant de la déclaration où Xi Jinping reconnaît l’apparition de la pandémie (20 janvier 2020) à l’investiture de Joseph Biden (20 janvier 2021). L’ouvrage, sans doute prisonnier de son sujet et de sa chronologie, laisse le lecteur sur sa faim.
Ainsi Adam Tooze indique-t‑il que les États-Unis doivent s’habituer à ne plus être le numéro un. Ils seraient devenus le problème. Les raisons de cette crise nationale sont passées en revue : creusement des inégalités ; rôle du dollar ; dégradation des infrastructures (contre quoi entend lutter l’ambitieux programme de grands travaux de Biden) ; rapports entre le Congrès et la présidence. « Les États-Unis peuvent-ils imaginer un système économique planétaire où leur économie serait la moitié de celle de la Chine ? » (Larry Summer). Mais cette crise est-elle passagère ou grosse d’un déclin irréversible ? Que révèle la pandémie sur la société américaine ?
Tooze constate par ailleurs que la Chine se trouve désormais au centre de l’échiquier mondial. Il mentionne plusieurs signes majeurs de cette ascension : célébration en 2021 du centenaire du Parti communiste chinois ; programme de décarbonation de l’économie ; pacte transpacifique. Mais que révèle la pandémie sur la société chinoise ? La Chine est tiraillée par de formidables tensions sociales entre riches et pauvres, villes et campagnes. Le coronavirus peut-il être un amplificateur, un accélérateur de ces tensions ?
Enfin, Tooze évoque la nécessité de la revalorisation de l’entraide (Care), d’un nouveau contrat social (New Green Deal). Mais que pourrait être le contenu d’un tel pacte ? Et l’auteur ne s’interroge pas sur l’impact planétaire de la pandémie, des efforts de gestion mondiale de la santé.
Prenant appui sur les historiens de l’environnement, Adam Tooze conclut : « La “grande accélération” a été le moteur d’une radicale transformation de la relation entre l’humanité et son habitat naturel. Cette transformation s’amorce en 1945, avec une accélération dans les années 1970. En dépit des signes d’un retour à la normale en 2021, la grande accélération fournit le cadre historique pertinent à l’intérieur duquel doit se situer le moment 2020 : une crise exceptionnelle et transitoire, certainement, mais aussi une étape sur la courbe ascendante d’un changement radical. […] Le coronavirus a cruellement exposé la profonde incapacité des sociétés modernes à relever les défis que lancera avec une force toujours croissante l’Anthropocène. »
Certes. Chacune de ces phrases plonge cependant le lecteur dans la perplexité. Qu’est-ce que le « retour à la normale » ? Que constitue exactement cette accélération ? Pourquoi cette « incapacité » des sociétés modernes ? Quels défis ? Quel changement radical ?…
Philippe Moreau Defarges
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