Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Marc Hecker, rédacteur en chef de la revue, propose une analyse de l’ouvrage de Thomas Renard, The Evolution of Counter-Terrorism Since 9/11: Understanding the Paradigm Shift in Liberal Democracies (Routledge, 2021, 218 pages).

En 2021, Thomas Renard a été nommé directeur de l’International Center for Counter-Terrorism à La Haye, après avoir été chercheur pendant de nombreuses années à l’institut Egmont de Bruxelles. Cette année-là, il a aussi obtenu son doctorat à l’université de Gand. Sa thèse a été primée par la Terrorism Research Initiative et publiée sous le titre The Evolution of Counter-Terrorism Since 9/11.

L’essentiel de cet ouvrage est consacré à la manière dont la Belgique s’est attelée à faire face à la menace terroriste grandissante dans la décennie 2010. Dans le monde occidental, ce pays a le triste privilège d’avoir été le plus touché, en proportion de sa population, par les filières djihadistes : environ 430 de ses ressortissants ont ainsi rejoint la zone syro-irakienne. En outre, le premier attentat commis en Europe par un « revenant » de Syrie l’a été au Musée juif de Bruxelles en mai 2014. Cette ville a aussi été prise pour cible deux ans plus tard, le 22 mars 2016, par des terroristes liés à ceux qui avaient frappé Paris le 13 novembre 2015.

À l’époque, la Belgique avait fait l’objet d’un virulent « Belgium bashing[1] », pointant le relatif laisser-faire des autorités et le sous-investissement dans les questions de sécurité. Le travail de Thomas Renard permet de mettre ces critiques en perspective, et surtout de les nuancer. À partir de 2013, les pouvoirs publics ont commencé à prendre la mesure des risques induits par les filières syriennes et à adapter leur réponse à la menace. Une innovation majeure a été le développement d’un dispositif de prévention de la radicalisation violente, initié en avril 2013 – soit un an avant la présentation du « plan Cazeneuve » en France. L’approche belge s’est toutefois heurtée à des difficultés liées notamment à la complexité institutionnelle du royaume. D’importants efforts ont ainsi dû être fournis pour tenter d’améliorer la coopération interministérielle, mais aussi entre État fédéral, régions et entités locales.

Un chapitre particulièrement intéressant est dédié à la centaine de « revenants » de la zone syro-irakienne. 70 % ont déjà été jugés et plus de la moitié d’entre eux ont écopé de peines de prison supérieures à cinq ans. Thomas Renard analyse le parcours carcéral de ces individus et décrit leur prise en charge à l’issue de leur incarcération. Il consacre aussi un développement au traitement de la quarantaine d’enfants belges revenus du « califat » de Daech.

Au-delà du cas de la Belgique, l’auteur cherche à tirer des enseignements plus généraux sur l’évolution de la lutte contre le djihadisme dans les démocraties libérales. Il note une tendance au renforcement de l’arsenal antiterroriste depuis une vingtaine d’années et à l’élargissement du champ d’intervention des acteurs spécialisés. Il met en garde contre un risque de surréaction, tout en soulignant le caractère subjectif de cette notion. Après deux décennies de guerre contre le terrorisme et à l’issue du retrait américain d’Afghanistan, il relève que nous sommes aujourd’hui à un tournant. Il envisage trois scénarios possibles – rétraction, consolidation ou expansion du contre-terrorisme –, se gardant bien de trancher. Quoi que nous réserve l’avenir, il ne faudra pas oublier les leçons de la période 2001-2021. Dans cette optique, le travail de Thomas Renard pourra jouer un rôle des plus utiles : celui de passeur de mémoire.

Marc Hecker

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[1] S. Boussois, « Lutte contre le terrorisme : la Belgique, maillon faible ? », Politique étrangère, vol. 82, no 4, 2017.