Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2022 de Politique étrangère (n° 2/2022). Dominique David, rédacteur en chef de la revue, propose une analyse de l’ouvrage de Frédéric Ramel, La bienveillance dans les relations internationales (CNRS Éditions, 2022, 304 pages).
Dieu, que la bienveillance est jolie ! Mais elle n’est pas seulement aimable, nous dit Frédéric Ramel, elle est profonde, structurante, efficace…
Il s’agit ici de reprendre une des plus anciennes catégories philosophiques, une des plus rassurantes dispositions de l’esprit humain, pour la projeter dans un présent qui tente d’imaginer l’avenir. Cette bienveillance, qui pousse l’homme vers le proche, peut aujourd’hui s’étendre, dans un monde globalisé, aux confins de la société internationale.
Le soubassement conceptuel du livre est impressionnant, et nous remet en mémoire des écrits relativement marginalisés par la dominance étatico-réaliste des deux derniers siècles. On voyagera donc avec grand intérêt dans les deux premières parties de l’ouvrage, de Démosthène à Léon Bourgeois – deux parties qui s’efforcent de poser les bases des politiques de la bienveillance. Ces développements ont l’intérêt de replacer la notion de bienveillance dans l’ensemble des matrices susceptibles de gouverner les relations entre communautés humaines : la bienveillance ne se manifeste pas seulement par accès, dans les brèches de l’histoire, mais est une composante permanente des rapports entre ensembles politiques.
Cette affirmation prend tout son sens dans la dernière partie de l’ouvrage. Le monde « universalisé » peut et doit, pour l’auteur, installer les stratégies de bienveillance au cœur de nouveaux modes de gestion. En raison de sa complexité, de la transversalité de ses problèmes, de la multiplication des acteurs susceptibles de peser sur les nombreuses composantes du système international. Il ne s’agit pas, explique l’auteur, de gommer les appartenances, en particulier nationales, étatiques, mais d’organiser leur dialogue, inséré dans de nouveaux multilatéralismes réunissant tous les acteurs : villes, régions, organisations non gouvernementales, groupements de citoyens…
On ne peut qu’approuver le projet – les COP face aux perturbations climatiques, la mobilisation des associations face au sida, etc. Tout en relevant que les résultats semblent pour l’heure au moins limités. Les COP ne sont guère décisionnelles et l’appréciation de l’auteur des résultats de la stratégie Covax – incarnation de la bienveillance internationale face au Covid-19 – semble au moins optimiste : la géographie de la vaccination fait en réalité écho à une véritable géopolitique de la puissance.
Les raisonnements de cet ouvrage sont salutaires, en ce qu’ils rappellent – contre une caricature de Hobbes – que les stratégies de « loups » ne sont pas seules à exister et à être efficaces. Le progrès du droit international et des multilatéralismes au XXe siècle le montre assez. Mais comme les stratégies agressives considérées seules s’égarent dans un monde qui n’est plus depuis longtemps celui des puissances militaires brutes – l’aventure russe en Ukraine en témoignera sans doute –, les stratégies de bienveillance ne peuvent rendre compte seules de la possibilité de gouverner la planète mondialisée.
À ce titre, l’ouvrage de Frédéric Ramel nous rappelle très utilement que nous ne sommes pas de retour à un Moyen Âge de simple force – ce que ne fut pas le vrai Moyen Âge… –, que nous avons progressé ces deux derniers siècles et que nous ne devons pas l’oublier devant les discours qui diagnostiquent le retour absolu de la puissance. Mais inversement, le lecteur soupçonnera que les stratégies de bienveillance, pour constitutives de l’esprit humain et nécessaires qu’elles soient, pourraient être dangereuses si elles étaient pensées seules pour un monde où les loups demeurent.
Dominique David
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