Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2022 de Politique étrangère (n° 3/2022). Hans Stark, ancien Secrétaire général du Cerfa à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Bastian Giegerich et Maximillian Terhalle, The Responsability to Defend: Rethinking Germany’s Strategic Culture (Routledge, 2021, 148 pages).

Dans son discours au Bundestag du 26 février 2022, le chancelier Scholz a annoncé une révolution copernicienne en matière de politique de défense et de sécurité en Allemagne. Cette décision n’est pas seulement due à l’invasion russe en Ukraine. Elle s’explique aussi par un besoin criant en matière de défense : l’Allemagne, en dépit des 50 milliards d’euros initialement consacrés à la défense dans son budget 2022 (avant l’invasion), n’est en mesure ni de se défendre, ni de contribuer substantiellement à la défense de l’Europe, que ce soit dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ou dans celui de l’Union européenne.

L’état de sous-financement et de sous-équipement de la Bundeswehr est connu de longue date. Mais pour mieux comprendre l’étendue du désastre dans lequel se trouvent les forces armées allemandes, l’ouvrage de Bastian Giegerich (directeur d’analyse militaire et de défense à l’Institut international d’études stratégiques) et Maximilian Terhalle (enseignant-chercheur au King’s College de Londres) arrive à point. Il montre que le « tournant » de la politique de défense allemande ne s’inscrit pas dans une attitude « aventuriste » (qui aurait oublié les leçons du passé…), mais découle du simple droit à l’auto-défense d’un État souverain face à une menace extérieure précise et explicite, ainsi que des obligations auxquelles l’Allemagne a souscrit dans le cadre de son appartenance à l’OTAN.

L’ouvrage se décline en cinq chapitres : les origines de la conduite allemande (chapitre consacré au poids de l’histoire et des facteurs structurels) ; les difficultés de la politique de sécurité allemande (les limites imposées à l’Allemagne en matière d’opérations extérieures, le rôle du Parlement, l’évolution des dépenses budgétaires) ; la politique industrielle et d’acquisition de l’armement (l’insuffisante maîtrise des nouveaux armements, les restrictions en matière d’exportation d’armements, le secteur industriel de production d’armements) ; l’environnement géostratégique de l’Allemagne (les relations entre l’Allemagne et ses alliés, les défis posés par la Russie et la Chine) ; enfin, en forme de conclusion, un appel des deux auteurs en faveur d’une nouvelle politique de sécurité.

Le livre de Giegerich et Terhalle montre avec précision que l’Allemagne n’est pas parvenue, depuis son unification en 1990, à se doter des moyens politiques, financiers, industriels, mais aussi théoriques nécessaires pour permettre à ses forces armées, largement intégrées à l’OTAN, de répondre aux besoins de sécurité de la République fédérale et de ses alliés. C’est là un échec collectif que les derniers chanceliers, de Kohl à Merkel, doivent assumer, et avec eux la classe politique et l’opinion publique. Le présent ouvrage n’est pas un appel à une politique militaire débridée, mais à une prise de conscience des responsabilités de l’Allemagne : la responsabilité de défendre ses citoyens, et ceux de ses alliés.

Hans Stark

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