La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article du numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022)« Union européenne-Balkans occidentaux : les illusions perdues ? », écrit par Pierre Mirel, directeur général honoraire de la Commission européenne.

« Le processus d’adhésion des Balkans à l’Union européenne, miné par des années d’ignorance, de tromperie et d’irrespect mutuels, a finalement succombé aux politiques à courte vue des leaders populistes européens et des Balkans » : le commentaire disait bien les frustrations dans les Balkans après le véto renouvelé de la Bulgarie à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord, le 22 juin 2022, alors que le Conseil européen allait reconnaître, le lendemain, la candidature de l’Ukraine et de la Moldavie.

L’ouverture de ces négociations a finalement été décidée en juillet. Tous les Balkans avaient reçu le statut de « candidats potentiels à l’adhésion » au Conseil européen de Feira en juin 2000. La « perspective européenne » promise au sommet de Thessalonique de juin 2003 a donc été peu couronnée de succès. C’est le paradoxe de vingt années : une intégration européenne limitée face à une stabilisation inachevée. L’héritage de la guerre n’est toujours pas soldé, il s’est mué en guerre des mots, entre ethnonationalisme et victimisation, loin des critères d’adhésion à une Union elle-même plutôt tiède à s’élargir à nouveau. La pré-adhésion est devenue l’antichambre de frustrations aux conséquences graves.

La difficile quête de l’état de droit

Le Processus de stabilisation et d’association (PSA) a posé le cadre des relations de l’Union européenne (UE) avec les Balkans occidentaux en vue de leur adhésion. Adopté au sommet de Zagreb (2000), confirmé à Thessalonique, le PSA ajoute aux critères de Copenhague (1993) une conditionnalité de « stabilisation » pour solder l’héritage des guerres : bon voisinage et coopération régionale, retour des réfugiés et coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Les outils du cinquième élargissement y sont transposés : dialogue politique, zone de libre-échange dans des accords de stabilisation et d’association, assistance technique et financière, réformes pour l’adoption de l’acquis communautaire.

Le raisonnement était simple. Après l’adhésion réussie des pays d’Europe centrale, l’UE faisait de son soft power, avec la perspective d’adhésion, la clé de ses politiques avec ses voisins : démocratie et économie de marché devaient triompher sur le continent européen. Mais l’UE avait sous-estimé le lourd héritage des guerres. Des accords ont bien été signés, mais avec la Serbie seulement après que Radovan Karadžic et Ratko Mladic eurent été transférés au TPIY. Et l’accord avec la Bosnie-Herzégovine n’est entré en vigueur qu’après que l’Union eut assoupli sa conditionnalité initiale.

Ce qui frappe depuis vingt ans, c’est la difficile quête de l’état de droit dans la région. Gouvernance déficiente et faibles contre-pouvoirs, corruption élevée et systèmes judiciaires dépendants, développement du crime organisé : ce sont les maux que la Commission européenne vient de dénoncer à nouveau dans ses rapports d’octobre 2022. Ils n’ont pas noté de réels progrès, sauf pour l’Albanie et la Macédoine du Nord. Les citoyens placent les partis en haut de l’échelle de la corruption (82 %), suivis du système judiciaire (80 %). La volonté politique fait largement défaut, compromettant l’efficacité de l’aide de l’UE, comme le souligne la Cour des comptes européenne, qui distingue toutefois l’Albanie pour son processus de vetting – évaluation des compétences et du patrimoine de tous les magistrats, dont un tiers a déjà été écarté ou a démissionné.

Une intégration européenne limitée

À la gouvernance déficiente s’ajoute un recul démocratique, la polarisation entre partis débouchant souvent sur le boycott des parlements. On est loin du large consensus des pays d’Europe centrale devenus membres en 2004. Dans les Balkans, bien des élites préfèrent les gains à court terme du maintien au pouvoir aux avantages à long terme de l’adhésion. De réunions ministérielles en sommets, elles sont pourtant promptes à s’engager pour les critères d’adhésion : il n’y a jamais eu autant de conférences pour si peu de résultats. […]

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