Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022).
Marc Hecker propose une analyse de l’ouvrage de Charlie Winter, The Terrorist Image: Decoding the Islamic State’s Photo-Propaganda (Hurst, 2022, 320 pages).

Couverture du livre "The Terrorist Image: Decoding the Islamic State’s Photo-Propaganda" de Charlie Winter au premier plan. En image de fond tout en noir et blanc, image d'une personne en ombre représentant un terroriste avec derrière lui une ville embrumée.

Voici dix ans, Abdelasiem El Difraoui publiait Al-Qaïda par l’image (Presses universitaires de France), ouvrage tiré d’une thèse de doctorat qui analysait « le Grand Récit d’Al-Qaïda et du djihad global ». À l’époque, Daech n’existait pas. Or, ce groupe rival d’Al-Qaïda a porté la propagande djihadiste à un niveau supérieur, déversant sur internet une myriade de contenus dans de multiples langues.

The Terrorist Image est lui aussi le produit d’une thèse, soutenue au King’s College de Londres par Charlie Winter. Ce jeune chercheur s’était déjà fait remarquer en publiant un rapport intitulé « The Virtual Caliphate », dans lequel il examinait la communication du groupe État islamique sur une période allant de mi-2014 à mi-2015. Pour ses recherches doctorales, il a à la fois élargi la période considérée (de la fin 2015 à l’automne 2017) et limité son objet d’étude aux contenus photographiques. Il a ainsi constitué une base de données d’environ 20 000 clichés, qu’il s’est évertué à passer au crible.

Charlie Winter s’inscrit dans une démarche de « sémiotique visuelle » et cherche à décrypter les signes qui se cachent dans les images. Il se réclame de l’héritage de Roland Barthes, mais reconnaît lui-même qu’un fossé existe entre les produits de consommation étudiés par l’auteur des Mythologies et la propagande d’une organisation terroriste. Les lecteurs peu intéressés par ce cadre théorique peuvent en faire abstraction pour se concentrer sur l’analyse de la communication de Daech.

Les milliers de photographies consultées par le chercheur ont été méticuleusement classées. Deux grandes catégories ont été identifiées : les images relatives à la guerre représentent 72 % du corpus ; celles ayant trait à la vie civile constituant les 28 % restants. Chacune de ces catégories est ensuite divisée en sous-catégories. Les thématiques les plus développées sont celles relatives aux opérations offensives, à l’artillerie, à la martyrologie, à l’économie et à la nature. Les images de châtiments corporels et d’exécutions sommaires – qui ont tant choqué à l’apogée de Daech – ne forment qu’une partie très minoritaire des documents analysés.

L’ouvrage est illustré par plusieurs dizaines de photographies de propagande, que l’auteur décrit et interprète. Pour Charlie Winter, ces clichés ne doivent pas être appréhendés comme un reflet de la réalité, mais comme miroir de l’idéologie salafo-djihadiste de l’État islamique. Il s’agit pour ce groupe de présenter de manière idéalisée son projet de califat, de vilipender ses différents ennemis (appelés nusayris pour les soldats syriens, râfidhites pour les milices chiites, murtadines pour les sunnites accusés d’apostasie et salibiyyines pour les chrétiens) et d’héroïser ses combattants. Il n’y a en somme pas vraiment de surprise ni de découverte majeure dans ce travail de recherche, mais Charlie Winter fait œuvre utile en documentant précisément la propagande de Daech, en proposant une typologie et en quantifiant chaque catégorie. C’est un travail pour l’histoire que l’auteur a réalisé, et qui n’est probablement pas terminé : le corpus documentaire a été déposé à l’Imperial War Museum de Londres, et peut désormais être exploité par d’autres chercheurs.

Marc Hecker

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