Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022).
Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage d’Ata Ayati et David Rigoulet-Roze (dir.), La république islamique d’Iran en crise systémique, Quatre décennies de tourments (L’Harmattan, 2022, 334 pages).

En fond, tour de Milad en Iran. Couverture du livre "La république islamique d'Iran en crise systémique" d'Ata Ayati et David Rigoulet-Roze au premier plan.

Publié avant la vague persistante d’émeutes provoquées par l’arrestation et la mort de Mahsa Amini, cet ouvrage montre à quel point existe un décalage entre les nouvelles générations et le pouvoir tenu par les religieux. Comme l’écrit justement David Rigoulet-Roze dans son introduction, il existe « une défiance résolue vis-à-vis d’un régime idéologiquement dévalué et dans l’incapacité de répondre aux attentes les plus élémentaires de l’essentiel d’une population éduquée et qui aspire simplement à pouvoir vivre décemment… ».

Se situant dans une évolution historique de « quatre décennies de tourments », les nombreux contributeurs s’attachent à aborder les différents aspects de la situation intérieure comme de la politique extérieure de la République islamique. Ils soulignent l’absence de perspectives pour une population dont la jeunesse est en position de rupture face à un « système répressif bien rodé », et dont on voit encore aujourd’hui la brutalité. Alors que Téhéran regarde de plus en plus vers la Russie et la Chine, les jeunes sont fascinés par un Occident où beaucoup souhaiteraient partir. La gouvernance calamiteuse des gouvernements, plus encore que les sanctions, explique les difficultés actuelles où se juxtaposent une économie sinistrée, un malaise social profond et une corruption endémique.

Le chapitre consacré à la crise nucléaire par Ardavan Amir-Aslani permet de mieux comprendre pourquoi les négociations en cours sont dans l’impasse, sans qu’aucune des parties veuille reconnaître leur échec. « Vingt ans d’errance diplomatique et d’incompréhensions mutuelles » expliquent cette évolution. À cet égard, les effets pervers de la dénonciation de l’accord de juillet 2015 par Donald Trump et de la politique de pressions maximales sont bien décrits. Ceux-ci ont contribué notamment à mettre en place en 2021 un président et un parlement ultra-conservateurs. Si la volonté exprimée par l’administration Biden de rentrer dans l’accord a suscité quelques espoirs, l’auteur estime que les demandes maximalistes avancées du côté américain et la tactique de temporisation menée par Téhéran ont abouti à ce qui est bien un échec.

Dans sa contribution, Farhad Khosrokhavar décrit cette « société aux abois » qu’est devenu l’Iran, avec une histoire ponctuée de violences, qu’il s’agisse notamment du mouvement vert en 2009, des protestations contre la pauvreté fin 2017 ou des manifestations récentes des femmes contre le voile, qui ont largement dépassé leur objet initial. Il rappelle l’action des femmes pour obtenir l’égalité juridique avec les hommes. Déjà la « Campagne pour un million de signatures » avait été déclenchée à cette fin sous le mandat d’Ahmadinejad. Si les manifestations avaient alors été durement réprimées et certaines militantes arrêtées et flagellées, le mouvement avait eu un fort retentissement, y compris au niveau international avec l’attribution du prix Nobel de la paix à Shirin Ebadi. Cet ouvrage très complet, qui aborde tous les sujets, de politique internationale comme de politique intérieure, le rôle des Gardiens de la révolution, l’évolution économique, la vie culturelle ou les problèmes environnementaux, mérite une lecture attentive à un moment où le régime est de nouveau confronté à un mouvement d’une ampleur sans précédent.

Denis Bauchard

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