Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022).
Louis de Catheu propose une analyse de l’ouvrage de Nicholas Mulder, The Economic Weapon: The Rise of Sanctions as a Tool of Modern War (Yale University Press, 2022, 448 pages).

Couverture du livre "The Economic Weapon:The Rise of Sanctions as a Tool of Modern War" de Nicholas Mulder : fond rose avec formes géométriques rouges et chalutiers noirs. Arrière plan : dollars américains en gros plan.

Le bureau du contrôle des actifs étrangers américain applique aujourd’hui 37 programmes de sanctions, en réponse aux programmes nucléaires nord-coréen et iranien, aux atteintes aux droits de l’homme à Cuba et aux progrès de la Chine dans les hautes technologies. L’invasion de l’Ukraine a provoqué la mise en place de sanctions de l’Union européenne, du Japon, du Royaume-Uni, de la Corée du Sud et des États-Unis. L’arme économique apparaît donc comme un aspect central des relations internationales contemporaines.

Nicholas Mulder date la naissance de l’arme économique moderne de la Première Guerre mondiale. La guerre totale met fin à la séparation entre l’économie et la guerre, et donc à la protection du commerce privé. Les biens des ressortissants étrangers, notamment les navires marchands, sont saisis dès le début du conflit. L’administration se fait plus intrusive pour collecter de l’information sur les ressources, les capacités de fret, les relations commerciales et réussir le blocus. La liberté du commerce précédemment reconnue aux pays neutres est remise en question. À partir de 1916, les navires neutres qui veulent bénéficier des points de ravitaillement en charbon britanniques dans le monde doivent se soumettre à l’inspection de leurs cargaisons.

Mais la rupture fondamentale intervient au sortir de la guerre. En 1918, l’idée que le blocus a joué un grand rôle dans la défaite des empires centraux est largement partagée. L’arme économique apparaît alors comme un moyen de garantir la paix et la stabilité internationale. La nouvelle Société des nations (SDN) est donc dotée d’un mécanisme de sanctions : l’article 16 du Pacte prévoit qu’un État membre recourant à la guerre subisse la rupture de « toutes relations commerciales ou financières » avec les autres États membres. Les sanctions non belligérantes naissent alors, puisque ce régime de sanction n’est pas subordonné à un état de guerre entre la SDN ou ses membres et le pays agresseur. Pour Nicholas Mulder, l’internationalisme libéral vient alors redéfinir la paix et la guerre.

Pour les alliés, les sanctions devaient donner à la SDN la capacité de décourager de potentiels agresseurs. La simple menace de recours aux sanctions a bien permis de désescalader un conflit frontalier entre la Grèce et la Bulgarie en 1925. Mais elle s’est révélée incapable de dissuader de grandes puissances. Le Japon n’est pas sanctionné après son invasion de la Mandchourie. L’Italie, soumise à un boycott de la SDN qui réduit ses réserves de change, poursuit sa conquête de l’Éthiopie. Malgré ce relatif échec, les régimes révisionnistes de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste et du Japon impérial prennent très au sérieux la menace d’être coupés des matières premières stratégiques par les empires français et anglais et leurs marines : d’où les programmes d’autarcie, le développement d’ersatz et des formes d’impérialisme, notamment en Europe du Sud.

Alors que les dépendances économiques sont de plus en plus mises au service d’intérêts géopolitiques, le travail de Nicholas Mulder permet d’éclairer les dynamiques à l’œuvre. Le recours à la coercition économique est-il vraiment un outil au service de la stabilité, ou ne risque-t‑il pas de nourrir les méfiances et les conflits ? Face à ce risque, l’auteur souligne notamment que l’arme économique a également une face positive, celle du Lend-Lease et du soutien aux pays menacés.

Louis de Catheu

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