Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022).
Jean-François Daguzan propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Vermeren, Histoire de l’Algérie contemporaine. De la régence d’Alger au Hirak (XIXe-XXIe siècles) (Nouveau Monde éditions, 2022, 400 pages).

Premier plan : couverture du livre "Histoire de l’Algérie contemporaine. De la régence d’Alger au Hirak (XIXe-XXIe siècles)" de Pierre Vermeren, illustrée par une photographie de quatre garçons aux cheveux bruns assis sur un trottoir, probablement à Alger.
Fond : Photographie par Zenad Nabil de Constantine (Algérie), ciel bleu, maisons et pont.

Un grand livre sur l’histoire de l’Algérie se faisait attendre en France. Certes, il y avait eu Benjamin Stora (1992 et 1994) mais, jusqu’en 2017, seule s’imposait la considérable A History of Algeria de James McDougall. En 2021, Emmanuel Alcaraz vint réouvrir une première brèche. Aujourd’hui, Pierre Vermeren, plus connu pour ses travaux sur le Maroc, relève le défi. Doué d’une plume puissante et déliée, l’auteur réussit une magnifique synthèse de quelques siècles d’une histoire agitée.

La première partie analyse la période de la « domination » ottomane sur l’Algérie. Elle restitue la situation stratégico-diplomatique de l’époque ; l’implantation (partielle) de l’empire sur le pays, mais aussi sa durabilité. Elle intègre la dimension sociale des tribus, des allégeances et des confréries – structures qui, débordant au-delà des frontières actuelles, complexifient la recherche d’un État algérien précolonial.

La deuxième partie revient sur la longue conquête de l’ensemble du territoire. Après la prise fulgurante d’Alger et les hésitations des gouvernements de Paris, la poussée française est prise en charge sans pitié par les militaires. La création d’un « parti colonial » fera le reste. Pierre Vermeren exécute au passage quelques idées reçues, notamment sur la valeur économique de la colonie. Il met également en évidence la gestion de la religion musulmane comme moyen de pression sur la communauté dite « indigène ».

La troisième partie illustre la montée du nationalisme algérien et, passés les espoirs de 1945 brisés par la répression de Sétif, le glissement inexorable vers la guerre et la déclaration d’indépendance.

La quatrième partie – « Les crises de l’État-nation algérien indépendant face aux chocs de la mondialisation » – explique l’installation d’une bureaucratie, d’un système sécuritaire et d’une caste héréditaire issus de la guerre, et qui vont étouffer toute transformation. Les leçons de la guerre civile (1992-1998, plus ou moins 200 000 morts) ne seront pas tirées, sinon sur l’efficacité du modèle répressif. Des millions d’Algériens vivent désormais « hors les murs ». Le Hirak – le « mouvement » –, la révolte pacifique de 2019, est porteur d’un immense espoir, mais le système saura l’étouffer et se régénérer sans évoluer.

Ce livre est aussi une réflexion sur l’État-nation. Comment se constitue l’État algérien à partir d’éléments disparates ? Le débat est miné. Pierre Vermeren nous aide à y voir plus clair.

Ces pages sont porteuses d’importantes interprétations qui sont autant de clés pour la recherche de demain. On en citera une : « La colonisation a été un État militaire au service des intérêts coloniaux. Puis elle légua à l’Algérie, par transfert d’État, un État militaire. »

S’il fallait aller à la critique, on dirait que, sans doute pour ne pas peser sur le prix, les notes sont courtes et la bibliographie légère. Quelques redites égrènent parfois une synthèse pourtant serrée. Mais ne boudons pas notre plaisir, ce livre est essentiel. Il y aura un avant et un après Vermeren.

Jean-François Daguzan

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