Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022).
Alexandre Pamart propose une analyse de l’ouvrage d’Eve Cuenca, L’Iran et le Pakistan. Défis régionaux et initiatives de coopération (1979-2022) (L’Harmattan, 2022, 256 pages).

Au premier plan, couverture du livre "L’Iran et le Pakistan. Défis régionaux et initiatives de coopération (1979-2022)" d'Eve Cuenca représentant les cartes de l'Iran et du Pakistan illustrées par leurs drapeaux. En fond, montages en Iran, photo de Saeed Sarshar.

L’ouvrage plonge le lecteur dans la multidimensionnalité de la relation entre l’Iran et le Pakistan, sous l’angle des défis régionaux et des alliances internationales paradoxales développées par les deux États. Le concept géopolitique de l’Asie de l’Ouest, incluant aussi l’Afghanistan, est structuré autour de la relation de longue date et du potentiel de coopération entre l’Iran et le Pakistan. Cet espace prend forme via l’intensification des stratégies de rivalité entre la Chine et l’Inde, notamment au Baloutchistan, pour une maîtrise de l’océan Indien.

Eve Cuenca ouvre son étude par le tournant de l’année 1979. La révolution iranienne de 1979 entraîne un changement institutionnel sur le plan interne et une rupture radicale de la politique extérieure iranienne. L’Afghanistan est envahi par l’URSS en 1979, ce qui marque le début de plusieurs décennies de conflits et ouvre un dossier épineux dans la relation irano-pakistanaise. Le Pakistan passe au même moment d’une démocratie socialiste – autour du fondateur du Parti du peuple pakistanais, Ali Bhutto, pendu en 1979 – à un régime militaire et autoritaire autour de Zia-ul-Haq, qui prône une islamisation de la société.

La politique extérieure de l’Iran est qualifiée de pragmatique face à un grand voisin musulman partageant un héritage culturel commun. Les doctrines de politique étrangère iraniennes contribuent à justifier la constance dans la relation avec le Pakistan. Téhéran considère qu’un tropisme vers l’Est est moins risqué qu’une ouverture vers l’Occident hégémonique. Le pragmatisme est d’actualité concernant la région du Baloutchistan, partagée entre les deux pays. La zone cristallise des tensions religieuses et soulève des problématiques frontalières de contrebande. L’approfondissement de la coopération bilatérale apparaît comme stratégiquement plus viable face aux défis sécuritaires.

Téhéran et Islamabad ont renforcé depuis quelques années leur coopération maritime dans le golfe Persique. Les ports de Tchabahar (Iran) et Gwadar (Pakistan) sont tous deux situés au Baloutchistan. Celui de Gwadar a une localisation stratégique pour la Belt and Road Initiative de Pékin. New Delhi l’appréhende comme une menace pour le port de Mumbai. Quant à Tchabahar, il est davantage orienté vers l’Inde désireuse de limiter les ambitions chinoises dans la région. Le Pakistan pourrait jouer un rôle de relais d’influence chinoise auprès de l’Iran. En 2021, un accord bilatéral de 25 ans a été signé entre la Chine et l’Iran. Ce cadre stratégique pourrait amplifier le rôle stratégique de l’Asie de l’Ouest.

Le développement des échanges commerciaux irano-pakistanais pourrait être stimulé par le marché énergétique (les besoins du Pakistan ayant augmenté). Le cadre institutionnel de l’Organisation de coopération économique offre des perspectives de relance de la relation irano-pakistanaise, en incluant aussi la Turquie. Le 5 janvier 2022, un train de marchandises est arrivé à Ankara depuis Islamabad en 12 jours – soit trois fois plus rapidement que par voie maritime. Des représentants des trois pays ont salué les opportunités offertes par cette arrivée symbolique.

Le renforcement des relations entre l’Iran et le Pakistan apparaît comme une condition nécessaire à la stabilité et au développement économique de l’Asie de l’Ouest face à la situation en Afghanistan et aux ambitions géostratégiques des puissances concernant les hubs portuaires du Baloutchistan.

Alexandre Pamart

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