Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2023 de Politique étrangère (n° 1/2023). Sophie Boisseau du Rocher propose une analyse croisée de l’ouvrage de David Van Reybrouck, Revolusi. L’Indonésie et la naissance du monde moderne (Actes Sud, 2022, 628 pages).
![Photographie de Afif Ramdhasuma (Unsplash), ville moderne en Indonésie.](https://i0.wp.com/politique-etrangere.com/wp-content/uploads/2023/03/Recension-07-04-2023-Boisseau-du-Rocher.png?resize=560%2C315&ssl=1)
Le livre de l’historien David Van Reybrouck est indispensable non seulement pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’archipel indonésien, ce géant de l’Asie du Sud-Est, mais encore pour ceux qui traquent l’universel à travers les cas particuliers. Et c’est peu dire que l’Indonésie rejoint l’universel, l’anticipe même (l’Indonésie est le premier pays colonisé à proclamer son indépendance, le 17 août 1945, la fameuse Proklamasi), y contribue pleinement. C’est une histoire nationale qui rencontre et raconte une histoire mondiale.
L’auteur s’intéresse ici au processus de décolonisation – ses ressorts, ses ambitions, ses mécanismes, ses expressions – qui a saisi le grand archipel à partir des années 1920. Après avoir clairement expliqué les motivations de la conquête coloniale, et les implications socio-politiques des décisions souvent iniques de la métropole (en disséquant les politiques coloniales des Pays-Bas, dures et obstinément mercantiles), Van Reybrouck catapulte le lecteur dans les motivations et l’état d’esprit des premiers héros nationalistes. À travers une multitude d’études de cas – témoignages directs des derniers survivants, textes institutionnels, articles de presse, archives… –, il explique les étapes, fruits du hasard ou plus subtilement organisées, qui ont abouti à la marche armée vers l’indépendance. Il montre de manière convaincante comment l’émancipation de ce peuple a déclenché une succession de réveils nationalistes ailleurs dans le monde, servant de modèle à de nombreux peuples asservis.
Pour bien comprendre l’amplitude d’un processus d’émancipation qui a touché à la fois les dirigeants et le peuple tout entier (on serait tenté de dire « les peuples », tant le paysage humain de l’Indonésie est divers, avec ses 3 000 groupes ethniques), David Van Reybrouck a enquêté et recueilli des centaines de témoignages, en Indonésie mais aussi au Japon (qui a occupé l’archipel de 1942 à 1945), aux Pays-Bas, l’ancienne puissance coloniale, et même au Népal, d’où les Britanniques qui avaient pris l’initiative de 1945 à 1946 avaient envoyé des Gurkhas. Ces témoignages directs permettent au lecteur de comprendre les réalités multiples de cette guerre mais aussi les différents points de vue – les exigences des colonisateurs paraissant le plus souvent déplacées.
C’est en ce sens que le cas indonésien rejoint l’universel, et l’actualité : les questionnements sont largement les mêmes ici et là, alors et maintenant. Il s’agit de trouver sa juste place dans un monde composé de puissances peu enclines à laisser émerger une autre réalité, interne et internationale. À ce titre, l’analyse proposée de la conférence de Bandung permet d’établir ses liens directs avec l’apparition du concept de tiers-monde et, partant, avec l’histoire chaotique des relations Nord/Sud. Un argument qu’on retrouve aujourd’hui dans les différents discours anti-occidentaux entendus dans la région ou sur d’autres continents.
Cet ouvrage de près de 500 pages nous introduit, avec bonheur, à la longue distance de l’histoire. Seule réserve : le système de notes de bas de page est compliqué à découvrir ; pris par le récit, le lecteur préférerait ne pas être renvoyé à deux différentes parties pour trouver une source historique ou le titre d’un ouvrage.
Sophie Boisseau du Rocher
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