Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2023 de Politique étrangère (n° 1/2023). Dominique David propose une analyse de l’ouvrage d’Alice Ekman, Dernier vol pour Pékin (L’Observatoire, 2022, 240 pages).

Photographie en arrière-plan de Victor He du Temple du Ciel à Pékin, ciel bleu clair. Au premier plan, couverture du livre "Dernier vol pour Pékin" d'Alice Ekman, aplat bleu foncé.

Quelle puissance est la Chine ? À cette question essentielle pour l’avenir des équilibres internationaux, le livre d’Alice Ekman, remarquable spécialiste du monde chinois, donne de précieux éléments de réponse.

Sans conteste, la Chine a mué, cette dernière décennie. À l’intérieur avec l’affirmation de l’imperium de Xi Jinping. À l’extérieur avec le passage à une affirmation plus lourde, plus agressive, plus globale. L’articulation entre la glaciation interne et la projection d’une image externe moins benoîte est ici brillamment décrite : serrage des vis autour du Parti, mise au pas des intellectuels et chercheurs, renfermement dû à la stratégie zéro-Covid, modification de l’expression même de la diplomatie chinoise dans le sens d’une visible agressivité.

D’un statut affiché de puissance « objective » – jouant, en quelque sorte, de son poids inertiel –, Pékin est passé à celui de puissance subjective : une puissance qui sait qu’elle ne peut s’affirmer, et même se préserver, qu’en réorganisant le monde.

La description des moyens déployés par Pékin au service de sa vision du monde est convaincante : diabolisation des États-Unis – seul rival à sa mesure –, suspicion vis-à-vis de l’étranger – et des Européens « suivistes » de Washington –, recherche non d’alliances mais de majorités internationales – l’Occident n’étant qu’une « minorité » cherchant à se faire passer pour la « communauté internationale » –, stratégie de présence économique, commerciale et technologique à travers la Belt and Road Initiative, aspiration à une plus grande autosuffisance et à la dominance technologique…

L’intéressant concept d’une « diplomatie comptable », accumulant les fidélités sans alliance formelle, explique et annonce sans doute, pour l’auteur, l’émergence d’un nouveau monde. Si l’ouverture économique et technologique des sociétés rend peu vraisemblable un renfermement autarcique, elle pourrait permettre, par contre, l’émergence d’une bi-(ou multi-)mondialisation, sériée en aires d’influence. C’est sans doute, commente Alice Ekman, ce qui s’annonce à travers la nouvelle cristallisation des coalitions internationales. La dissociation financière et technologique qu’entreprend la Chine vis-à-vis des États-Unis en étant, par exemple, le signe le plus tangible. Dans cette lutte des coalitions, la Chine dispose de vraies cartes, souligne l’auteur, même si l’opacité du système politique chinois interdit la mesure exacte de ses forces.

Sans conteste, la Chine de Xi Jinping a changé : plus lourde dans les organismes internationaux, plus assertive, plus exigeante, bref plus présente. Doit-on s’en étonner ? Ou Pékin ne fait-il que suivre la pente normale de l’affirmation d’une puissance en reconstruction ? Il faudra compter demain avec la Chine, mais est-ce une surprise ? Ce qui nous choque, c’est la ferme articulation entre la répression interne et l’affirmation externe, ainsi que le narratif, qui reprend les canons marxistes-léninistes. L’obstination de l’auteur à saluer l’orthodoxie marxiste de Xi Jinping n’était cependant peut-être pas nécessaire… Le discours chinois est d’ailleurs plus léniniste, ou stalinien, que marxiste. Et Staline lui-même, à compter des années trente, c’est-à-dire alors que l’URSS devenait une puissance, eut-il une diplomatie marxiste ou simplement une diplomatie de force ? Le débat sur le marxisme de Xi Jinping importe peu au regard de la nouveauté du monde que décrit Alice Ekman, où s’imposera, marxiste ou non, la Chine.

Dominique David

>> S’abonner à Politique étrangère <<