Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Jean-Louis Martin propose une analyse de l’ouvrage de Paul Amar, Lisa Rofel, Maria Amelia Viteri, Consuelo Fernández-Salvador et Fernando Brancoli (dir.), The Tropical Silk Road. The Future of China in South America (Standford University Press, 2022, 472 pages).

Photographie d'une carte du monde montrant l'Amérique du Sud par Leon Overweel (Unsplash). Au premier plan, couverture du livre "The Tropical Silk Road".

Le titre de l’ouvrage est quelque peu trompeur : la Route de la Soie est pour la Chine une stratégie d’extension de son influence économique et, dans une certaine mesure, culturelle, or économie et culture sont ici largement absentes. On ne propose pas une vue d’ensemble de la percée économique de la Chine en Amérique du Sud, comme investisseur, prêteur ou exportateur. L’intérêt des auteurs les porte vers l’impact sur les communautés affectées (surtout indiennes, mais pas seulement) des projets chinois dans les mines, l’industrie ou les infrastructures ; il s’agit d’une approche d’anthropologues, et non d’économistes. De même, quand les questions culturelles sont abordées, ce n’est pas sous l’angle du soft power que les autorités chinoises essaient de développer ailleurs via la Route de la Soie, mais sous celui du choc culturel provoqué dans les communautés sud-américaines par les projets chinois. Il semble pourtant difficile de pronostiquer « le futur de la Chine » dans le sous-continent sans aborder son influence économique montante (et ses limites) ou ses ambitions culturelles.

Le sous-titre illusionne aussi sur la géographie. Les articles rassemblés concernent deux pays, le Brésil et l’Équateur, d’où sont originaires la quasi-totalité des contributeurs. Il s’agit certes de deux cas intéressants, et différents, mais qui sont loin de représenter le spectre des questions posées par la présence croissante de la Chine en Amérique du Sud. Si le rapport de l’Argentine à la Chine a des similarités avec celui du Brésil, les cas du Chili ou du Pérou, où la Chine est au premier chef intéressée par les secteurs miniers mais aussi par la production de fruits et légumes frais, et du Venezuela, où elle intervient avant tout comme prêteur (prenant des garanties qui restent obscures), sont très différents. Il en est de même de la Colombie, où la Chine est arrivée plus tard et où elle est peu présente comme investisseur. L’ouvrage ne manque pourtant pas d’intérêt. Il donne la parole à des universitaires issus de ces communautés indiennes, apportant ainsi un point de vue original et rare. Il recèle ainsi de nombreuses « perles », exposant de manière éclairante les succès et les échecs de ces communautés face aux projets miniers ou d’infrastructures qui menacent de les déstabiliser. On n’en citera qu’une : « Rio Blanco: The Big Stumbling Block to the Advancement of China’s Mining Interests in Ecuador », du collectif Yasunidos Guapondélig. Enfin, l’effort de synthèse du chapitre d’introduction apporte une cohérence à un ensemble de contributions parfois divergentes. Ce chapitre pose en particulier une question centrale : en Amérique du Sud, l’impact de la Chine sur les populations, et en particulier les communautés défavorisées et fragiles, est-il vraiment différent de celui qu’a pu avoir dans le passé le « Nord global » ? Et, en termes plus imagés, l’« inévitable mariage » (la formule est de l’ex-vice-président brésilien Mourão) entre la Chine et le Brésil est-il préférable à la « fraternité » qu’invoquait Zhou Enlai à Bandung en 1955 ? Les auteurs laissent entendre que si le concept de « fraternité » a pu ex post être soupçonné de relents machistes, le « mariage inévitable » laisse (surtout dans la bouche d’un général brésilien bolsonariste) peu d’espoir d’une relation équilibrée.

Jean-Louis Martin

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