Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Carole Mathieu propose une analyse croisée des ouvrages de François Gemenne, L’écologie n’est pas un consensus. Dépasser l’indignation, (Fayard, 2022, 126 pages) et de Paul Magnette, La vie large. Manifeste écosocialiste, (La Découverte, 2022, 304 pages).

Photographie d'arrière-plan par Markus Spiske (Unsplash) représentant une pancarte lors d'une manifestation pour l'écologie, sur laquelle est dessinée une représentation de la Terre sur fond noir et inscrit "One World" en blanc. Au premier plan, couvertures des livres de Paul Magnette et de François Gemenne.

Comment sortir de l’impasse écologique ? Le 20 mars dernier, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) publiait son sixième rapport d’évaluation. Destinée aux décideurs politiques comme au grand public, cette nouvelle publication est venue renforcer un consensus bien établi sur l’origine anthropique du dérèglement climatique, sur l’ampleur des dangers associés à la poursuite des trajectoires actuelles d’émissions de gaz à effet de serre, et sur les leviers à notre disposition pour éviter un réchauffement global dont les conséquences seraient hors de contrôle. Dans les jours qui ont suivi la publication du rapport, les médias ont abondamment repris et illustré les principaux enseignements du rapport afin que chacun puisse prendre la mesure de ce qui se jouera dans les prochaines années. Pourtant, une actualité chassant l’autre, les appels au sursaut collectif sont à nouveau restés sans suite. Nous savons, et avons les moyens d’agir, mais nous retardons la mise en œuvre de politiques réellement transformatrices et préférons prolonger un statu quo synonyme d’aggravation des dégâts environnementaux.

L’inaction climatique est le point de départ des réflexions menées par François Gemenne et Paul Magnette dans leurs ouvrages respectifs. Les deux auteurs ont en commun d’être de nationalité belge et professeurs d’université mais également de s’être chacun investi dans la vie politique, en France et au service de la campagne présidentielle du candidat écologiste pour François Gemenne, au Parti socialiste belge pour Paul Magnette. Face à un sentiment d’impuissance généralisée, leurs diagnostics convergent : les gouvernements ne sont pas à blâmer car ces derniers ne reçoivent pas de mandat électoral pour agir. La raison en est, selon les auteurs, que les politiques climatiques sont profondément conflictuelles et qu’elles se heurtent aux réticences, voire aux stratégies d’obstruction et de diversion, de ceux qui bénéficient de l’ordre établi.

De ce constat amer, les deux auteurs tirent des conclusions politiques communes. Pour que les questions environnementales s’imposent comme priorité politique, l’écologie doit s’extraire de la tentation unanimiste et proposer un nouveau contrat social. Sans futur désirable, pas de bloc majoritaire. Dans ce contexte, François Gemenne alerte avec raison sur le risque de voir s’installer une forme de climato-défaitisme face à l’amplification des dérèglements, aux écarts grandissants entre les objectifs officiels et les actes, mais aussi à l’incohérence entre des efforts individuels et un sentiment de paralysie collective. Pour rompre avec l’immobilisme, l’écologie doit donc s’arrimer à la question des inégalités, et c’est aussi la conviction de Paul Magnette qui avance dans son livre l’ébauche d’une pensée « écosocialiste », assurant la convergence entre protection du climat et critique du capitalisme.

C’est dans la deuxième partie de La Vie large que l’auteur défend avec force la nécessité d’un aggiornamento du socialisme, qui doit prendre ses distances avec la logique productiviste et intégrer pleinement la question des limites planétaires. De son propre aveu, le lien entre réduction des inégalités et baisse des émissions est encore trop peu documenté, mais Paul Magnette a l’audace de formuler une série de propositions, concernant notamment le partage du pouvoir dans les entreprises, qui devrait non seulement permettre une meilleure prise en compte du bien-être des travailleurs mais aussi se traduire par des choix stratégiques plus soutenables car à rebours des logiques court-termistes. De la même manière, l’auteur ouvre une réflexion bienvenue sur les sources réelles de bien-être, arguant que l’investissement dans des services publics de qualité permettrait de réduire la consommation de compensation. Si la déclinaison concrète de ces propositions mériterait certainement d’être développée, il faut saluer l’effort de Paul Magnette pour sortir du consensus mou et jeter les bases d’un récit politique engageant. Les lectures de ces deux ouvrages se révèlent très complémentaires. Le réalisme de François Gemenne est éclairant, tant pour anticiper les possibles effets pervers des discours écologistes que pour penser un changement systémique autour des « minorités déterminées » qui agissent d’abord à l’échelle de leurs territoires ou domaines d’activité. Néanmoins, la définition d’un cap politique clair, comme celui qu’esquisse Paul Magnette, reste nécessaire pour déployer harmonieusement ces énergies et espérer engager un mouvement d’ensemble dans les meilleurs délais. Rien n’oppose ces deux approches : il semble au contraire judicieux de les mener de front pour se donner les meilleures chances de réussir le combat climatique.

Carole Mathieu

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