Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2023 de Politique étrangère (n° 3/2023). Clotilde Champeyrache propose une analyse de l’ouvrage de Célia Lebur et Joan Tilouine, Mafia Africa. Les nouveaux gangsters du Nigeria à la conquête du monde (Flammarion, 2023, 320 pages).

Dans le paysage criminel actuel, les cults – également qualifiés de « mafia nigériane » – ont à diverses reprises retenu l’attention. Présentes dans le milieu de la prostitution, ces organisations criminelles originaires du sud du Nigeria s’illustrent aussi dans la cybercriminalité et le trafic de drogues – cocaïne, tramadol, ganja… Elles intriguent par leur rapide internationalisation : depuis les années 2000, elles sont clairement actives, en Italie d’abord puis en France. Pourtant, rien n’indiquait dans les années 1950, lorsque ces fraternités étudiantes virent le jour, qu’au tournant des années 1980 elles se criminaliseraient, dévoyant ainsi l’objectif initial de fédérer des élites nationales.

La trajectoire et les activités des cults sont explorés dans l’ouvrage journalistique de Célia Lebur et Joan Tilouine, à partir d’enquêtes de terrain fouillées.

La transformation de ces groupes amène les auteurs à se poser des questions – pas toujours résolues, y compris pour les criminologues ou les juges – sur l’identification précise du phénomène. Contrairement au titre quelque peu publicitaire, l’ouvrage porte une véritable réflexion sur la structuration et la signification des cults, ainsi que sur la diffusion progressive de cette gangrène criminelle dans un contexte de déni. Loin de lui plaquer la dénomination souvent erronée de mafia, les auteurs préfèrent à juste titre parler de « franchises criminelles », ou de « vaste nébuleuse ». S’ils soulignent la montée en gamme et en puissance des cults, ils redimensionnent le phénomène en réinsérant ces organisations criminelles dans un contexte plus global, où les cults ne figurent qu’une des expressions de la criminalité organisée d’Afrique de l’Ouest, avec une puissance financière et logistique encore inférieure à celle des grandes organisations criminelles.

L’ouvrage illustre également fort bien deux réalités du panorama criminel : l’insertion dans la sphère légale et les imbrications criminelles. La criminalité organisée n’est pas un corps étranger dans un monde binaire où sphères légale et illégale seraient étanches. Les deux sphères s’interpénètrent, laissant libre champ à des illégalités diffuses, et à des inversions de valeurs préoccupantes pour l’avenir des sociétés et des démocraties. Il n’est qu’à considérer que, parmi les richissimes du Nigeria, on trouve les politiciens mais aussi les « Madames » de la prostitution et les « Yahoo Boys » des arnaques internet, des hommes politiques et hommes d’affaires étant, par ailleurs, membres des cults.

Quant à la montée en puissance de ces cults, elle résulte clairement de stratégies de coopération et cogestion de trafics entre organisations criminelles. Des chaînes criminelles au sein desquelles des groupes cults, comme les Vikings, les Black Axe, Maphites ou Eiye, ont su se faire une place au point d’interagir avec de véritables mafias comme Cosa Nostra et la Camorra sur leur territoire d’implantation. Ce processus mêlant apprentissage et émulation alimente la thèse de la diffusion de la méthode mafieuse, sans qu’il n’y ait forcément d’organisation mafieuse à proprement parler.

Voilà un ouvrage bienvenu qui alimente la réflexion sur cette criminalité à partir d’éléments concrets, et sans succomber à des affirmations péremptoires. Reste à systématiser le travail de collecte d’informations sur les cults afin de passer à l’étape qui doit suivre la description : l’analyse à des fins de lutte contre le phénomène.

Clotilde Champeyrache

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