Le numéro d’hiver 2023 de Politique Étrangère(n° 4/2023) est tout juste paru ! Nous avons le plaisir de vous offrir en accès libre l’article  « BRICS : les incertitudes d’un forum ‘alternatif’ », écrit par Julien Vercueil, chercheur au centre de recherches Europe-Eurasie de l’Inalco.

Le groupe des BRICS se présente aujourd’hui comme une plate-forme alternative à la gouvernance économique unipolaire caractérisée depuis les années 1980 par la domination des États-Unis et du G7. Son histoire montre pourtant qu’il en est directement issu.

Les BRICS : une brève histoire

L’acronyme BRICS s’inscrit dans la lignée des travaux des banques d’investissement anglo-saxonnes sur les « marchés émergents » (emerging markets). Ce terme est inventé en 1979 par Antoine van Agtmael, économiste d’une filiale de la Banque mondiale, la Société financière internationale, pour attirer les investisseurs occidentaux vers les marchés financiers des pays d’Asie du Sud-Est. La création du terme BRIC a donc tout autant servi à porter une analyse géoéconomique qu’à drainer les capitaux vers des produits financiers.

La dimension géoéconomique de l’analyse a été apportée par Jim O’Neill, économiste en chef de la banque d’affaires Goldman Sachs : « Si le G7 était voué à devenir un forum où une véritable coordination des politiques économiques était discutée, les États-Unis, le Japon, la France et le Royaume-Uni seraient rejoints par la Chine et l’Inde plutôt que par le Canada, sur la base des pondérations en dollars de pouvoir d’achat. […] Il semble assez clair que le G7 actuel a besoin d’être “amélioré” et que de la place doit être faite pour les BRICs, afin de permettre l’élaboration d’une politique économique globale plus efficace. »

En 2003, deux autres économistes de la banque d’affaires américaine publient un deuxième article sur le sujet, qui présente des projections de croissance pour les BRICs à l’horizon 2050. Il s’agit alors beaucoup plus clairement d’attirer les investisseurs – de « rêver avec les BRICs » – vers les solutions d’investissement de la banque à destination de ces économies, en présentant des perspectives de croissance brillantes pour chacune d’elles.

Il est intéressant de noter qu’à cette époque déjà, les auteurs ajoutent un cinquième pays à leur analyse des BRICs. Notant que le groupe ne comprend pas de pays du continent africain, ils s’intéressent au potentiel de croissance de l’Afrique du Sud : « l’économie la plus importante de la région [peut] prendre part au même type de processus » que les BRICs en atteignant également une croissance de 5 % par an durant la première décennie, déclinant ensuite à 3,5 % – soit un rythme équivalent à celui prévu pour le Brésil et la Russie.

En conclusion de leur étude, les auteurs reviennent à l’essentiel de leur métier, qui est de capter l’attention des investisseurs : « L’orientation des flux de capitaux pourrait évoluer encore davantage en faveur [des BRICs] et des réajustements majeurs de taux de change se produiraient. […] Être investi et impliqué dans les bons marchés – et en particulier dans les bons marchés émergents – peut devenir un choix stratégique d’importance croissante pour de nombreuses firmes. […] Êtes-vous prêt ? »

Au-delà de l’approche publicitaire, la question de la gouvernance économique mondiale est posée par ces articles. En cela, ils n’innovent pas réellement mais rejoignent une réflexion déjà menée à l’époque dans le cadre des travaux des ministres des Finances du G7. En septembre 1999, à l’occasion d’une réunion à Washington, le ministre des Finances canadien Paul Martin proposait la création d’un forum de discussion regroupant les pays industrialisés et dix pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, mais aussi Corée du Sud, Égypte, Indonésie, Mexique, Arabie Saoudite et Turquie). Face à la succession de crises financières des années 1990 qui n’ont pu être contrôlées par le G7, l’objectif de ce forum est d’ouvrir les discussions sur la régulation économique financière mondiale aux principaux pays émergents. Il s’agit aussi de regrouper en un lieu unique d’échanges et de coordination des responsables d’économies représentant une fraction cumulée majoritaire du produit intérieur brut (PIB) mondial, pour être mieux à même de gérer les à-coups provoqués par la mondialisation. Ce forum prendra le nom de G20.

Le rôle du G7 n’est pas seulement d’être le promoteur du G20. De manière moins volontaire, cette enceinte sera aussi le creuset de la reprise politique de l’acronyme BRICs. Depuis 1998 en effet, la Russie est officiellement invitée à rejoindre le groupe des sept pays les plus industrialisés, qui prend alors le nom de G8. En juillet 2006, le sommet se réunit pour la première fois en Russie, à Saint-Pétersbourg, et Vladimir Poutine invite à cette occasion, avec l’accord de ses homologues, les présidents Thabo Mbeki (Afrique du Sud), Lula (Brésil), Hu Jintao (Chine), Manmohan Singh (Inde) et Vicente Fox (Mexique). En marge du sommet, les dirigeants chinois, indien, russe et brésilien décident de travailler à la mise en place d’un sommet qui pourrait les réunir à l’écart du G7. Le premier d’entre eux sera organisé en 2009 à Ekaterinbourg (Russie). À partir de 2011, l’Afrique du Sud, invitée par la Chine tout en n’étant pas membre du G20, rejoindra le groupe de manière permanente, le transformant en BRICS. On voit ainsi comment, à partir d’un simple sigle créé par une institution financière occidentale, l’acronyme BRICS est devenu une réalité géopolitique avec laquelle il faut désormais compter.

Gouvernance économique mondiale : sur quoi les BRICS sont-ils d’accord ?

L’avertissement de Jim O’Neill n’était pas sans fondement : il est plus difficile de contribuer efficacement à la gouvernance financière globale si l’on n’embarque pas avec soi les principaux acteurs économiques de la mondialisation. En 1998, au taux de change courant, le G7 représentait environ 64 % du PIB mondial et les BRICS seulement 9 %. Aujourd’hui, les proportions sont respectivement de 44 % et 25 % (graphique 1). Le gouvernail du G7 est décidément devenu trop petit pour guider un bateau dont les voiles sont plus vastes, particulièrement si les vents forcissent. […]


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