Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2024 de Politique étrangère (n° 1/2024). Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Bruno Tertrais, Pax atomica ? Théorie, pratique et limites de la dissuasion (Odile Jacob, 2024, 208 pages).

L’arme nucléaire permet-elle la paix ? Face à la rhétorique agressive de Vladimir Poutine, aux démonstrations de force en Corée du Nord, ou à l’accroissement de l’arsenal nucléaire chinois, la question mérite d’être posée, même si la réponse ne peut être que nuancée et partielle. C’est la tâche que s’assigne dans cet ouvrage Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des questions de dissuasion nucléaire.

Nourri par une culture stratégique et historique solide, rédigé dans un style clair et accessible, le court ouvrage permet de faire le point sur les grandes théories de la dissuasion, dont on observe le retour dans le champ médiatique et académique alors qu’elles ont pour la plupart été pensées dans les années 1950. Le caractère absolu de l’arme nucléaire pousse en effet à réfléchir à son emploi, ou plutôt son non-emploi, à travers plusieurs concepts, parfois antagonistes ou dont il est en tout cas nécessaire de redonner les définitions : dissuasion élargie, dissuasion intégrée, doctrine antiforces ou anti-cités, etc.

Les quelques rappels techniques sont également utiles, bien que superficiels : les lecteurs plus avertis pourront se référer à une très riche bibliographie. Les exemples historiques, bien sourcés, permettent de relever une évolution de la pensée des politiques et des militaires sur les armes nucléaires : jadis parfois maniées avec légèreté pendant les premières années de la guerre froide, par exemple durant la guerre de Corée ou la guerre du Vietnam, elles furent cependant dès leur création emprises dans une gravité qui a permis d’éviter leur emploi.

Afin de laisser la place au contradictoire, les arguments des opposants et critiques des armes nucléaires sont considérés avec sérieux, permettant d’esquisser les limites de la dissuasion nucléaire, et donc de penser sa suite dans une cinquième « vague » des armes nucléaires. La nécessité d’être face à un acteur rationnel est ainsi soulignée, tout comme l’incapacité de l’arme nucléaire à dissuader de toutes les menaces – ce qui n’a jamais été le cas. La question des vulnérabilités des armes nucléaires, et plus largement de la dissuasion, face aux nouvelles technologies comme les risques cyber est également évoquée.

Enfin, la notion de l’arme nucléaire comme « bien commun de l’humanité » s’avère particulièrement intéressante à explorer, en parallèle du postulat de base de l’ouvrage, selon lequel les armes nucléaires contribueraient fortement à garantir la paix dans le monde. Des pistes sont ainsi ouvertes pour la dissuasion française : la dimension européenne des intérêts vitaux a été rappelée à plusieurs reprises par le président de la République, et le nucléaire français pourrait donc avoir demain un rôle plus important à jouer dans la sécurité de l’Union européenne dans un contexte d’incertitude grandissante outre-Atlantique.

Héloïse Fayet
Chercheuse au Centre des études de sécurité

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