Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2024 de Politique étrangère (n° 1/2024). Denis Teyssou propose une analyse de l’ouvrage de David Colon, La Guerre de l’information. Les États à la conquête de nos esprits (Tallandier, 2023, 480 pages).

Avec La Guerre de l’information, « menace mortelle pour nos démocraties », l’historien David Colon publie son quatrième ouvrage sur les manipulations de l’information. Pour l’auteur, cette guerre larvée au sein de l’espace public informationnel est la caractéristique des conflits hybrides, où la désinformation, la propagande et les ingérences étrangères sur les réseaux sont devenues des armes à part entière. Avec en ligne de mire la volonté de déstabiliser l’adversaire et d’influencer les opinions publiques.

En une douzaine de chapitres très documentés, en partie chronologiques, David Colon décrit cette guerre de l’information quasi généralisée à l’échelle de la planète. Il la présente comme étant notre période historique contemporaine, celle qui a succédé à la guerre froide dès 1991. La première guerre du Golfe en constitue pour l’auteur le point de démarrage : aux opérations militaires se mêlent un contrôle strict de la diffusion de l’information et des envoyés spéciaux des médias, avec des campagnes de propagande ciblées pour conquérir et influencer les opinions. La domination informationnelle américaine, couplée à l’effet CNN puis à l’avènement du web, atteint alors son apogée. Pourtant, face à cette puissance globale, bon nombre d’États démocratiques ou autoritaires ne tardent pas à réagir en se dotant, eux aussi, du soft power des chaînes de télévision d’information en continu. Dans la décennie suivante, avec les guerres d’Afghanistan et d’Irak, les médias sont à nouveau ciblés par la désinformation étatique. S’ensuivent les révolutions « Twitter » puis les conflits du Moyen-Orient, où le terrain de bataille se prolonge sur les réseaux sociaux, entre diffusion de propagande djihadiste et, déjà, batailles de l’information entre Israël et le Hamas.

David Colon consacre ensuite son sixième chapitre à la « guerre totale de l’information » menée par la Russie à partir des élections controversées de décembre 2011. Les irrégularités de ce scrutin, dénoncées par le régime poutinien comme une ingérence occidentale, marquent le début du musellement progressif de l’opposition russe et des tentatives réitérées de déstabilisation des démocraties occidentales. Les chapitres suivants abordent les opérations de cyberguerre, où s’affrontent notamment États-Unis, Chine, Russie, Iran et Corée du Nord, sur fond du « spectre d’un cyber Pearl Harbor ». Théories du complot, opérations psychologiques comme le ciblage d’électeurs avec l’affaire Cambridge Analytica, mouvement QAnon, double invasion russe de l’Ukraine, recul de l’influence française en Afrique et guerre « cognitive » chinoise complètent cet ouvrage dense et parfois touffu. La mise en perspective historique des doctrines informationnelles américaine, russe ou chinoise et l’abondance des références apportent néanmoins un éclairage précieux et des clés de compréhension bien utiles.

En conclusion, l’historien lance un appel pour un « état d’urgence informationnelle » en formulant plusieurs « propositions défensives » : de l’interdiction de mener des opérations d’influence étrangères par les sociétés de relations publiques et de lobbying, à la responsabilisation des géants du numérique, en passant par la création de médias sociaux de service public. Force est de constater que le regain des tensions internationales, en ce début 2024, vient conforter la thèse de David Colon.

Denis Teyssou

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