Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Hans Stark, conseiller pour le Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Christoph Heusgen, Führung und Verantwortung. Angela Merkels Aussenpolitik und Deutschland künftige Rolle in der Welt (Siedler, 2023, 256 pages).

Critiquée pour sa politique pragmatique envers Moscou et une politique de sous-financement des forces armées durant ses quatre mandats, Angela Merkel fait aujourd’hui l’objet de critiques souvent sévères en Allemagne. Christoph Heusgen ne partage pas cette approche et se livre à une analyse dénuée de toute critique à l’égard de la chancelière, dont il vante l’action médiatrice, la maîtrise des dossiers et l’endurance dans un monde de conflits et de crises. Ce parti pris n’est pas surprenant : Heusgen a été le conseiller diplomatique de Merkel entre 2005 et 2017, puis représentant permanent de l’Allemagne aux Nations unies jusqu’en 2021. Mais l’auteur poursuivant sa carrière à la présidence de la Conférence de Munich sur la sécurité, où il a succédé fin 2021 à Wolfgang Ischinger, on pouvait s’attendre à une prise de distance plus objective, et à une analyse plus approfondie du contexte international actuel.

L’approche de Heusgen est très descriptive, résolument chronologique (se concentrant sur les années 2005-2017) et très personnelle. Le lecteur apprend ainsi les conditions dans lesquelles Heusgen a été nommé à son poste de conseiller, peut lire à maintes reprises que l’auteur a noué des relations amicales étroites avec des conseillers diplomatiques d’autres pays, et qu’il n’a pas hésité à les inviter parfois à la fête annuelle de sa ville de naissance, Neuss, bourgade proche de Düsseldorf en Rhénanie.

L’ouvrage est structuré en dix chapitres, le premier étant consacré à sa nomination, les neuf autres aux relations bilatérales entre l’Allemagne et la France, Israël, les États-Unis, la Russie, la Chine, l’UE, le voisinage de l’UE, l’OTAN, ainsi que l’Afrique et l’Asie. L’auteur passe en revue les principaux enjeux à l’ordre du jour des relations entre l’Allemagne et ces grands acteurs ou espaces. Son approche est marquée par une grande prudence dans les analyses et une loyauté sans faille envers l’ancienne chancelière, à laquelle Heusgen voue une admiration dont il ne se cache pas.

On notera qu’aucun chapitre n’est consacré aux questions de défense, à l’état de la Bundeswehr ou à la politique d’armement de l’Allemagne sous Merkel, même si Heusgen n’omet pas de préciser que la faible part du PIB allemand investi dans la défense a nourri « l’agressivité » de Trump à l’égard de la chancelière. Il rappelle aussi que dans ce contexte Angela Merkel devait prendre en considération l’attitude du SPD – son partenaire de coalition –, peu favorable à une augmentation des dépenses militaires – façon élégante de rejeter la responsabilité du désinvestissement militaire allemand sur le partenaire social-démocrate.

Une seule fois Heusgen se permet de formuler une critique, lorsqu’il souligne qu’il était en désaccord avec la chancelière au sujet de Nord Stream 2. Force est toutefois de souligner qu’il n’a fait part de ce désaccord qu’après avoir quitté le Auswärtige Amt fin 2021. En fonctions, il a défendu le point de vue officiel de Berlin, à savoir que Nord Stream 2 était une affaire économique « privée » sur laquelle le gouvernement fédéral n’avait pas de prise.

Publié plus d’un an après la Zeitenwende, le livre de Christoph Heusgen paraît venir d’un autre temps, un temps où l’Allemagne pensait être en paix et en équilibre avec elle-même. Un temps révolu.

Hans Stark

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