Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Frédéric Ramel propose une analyse de l’ouvrage de Sundeep Waslekar, Entre guerre et paix. Histoire et politique des conflits dans le monde (CNRS Éditions, 2023, 344 pages).
Sous un titre plutôt neutre, la lecture ne permet guère le doute : l’auteur défend bien une promotion de la paix. Reprenant l’horloge de l’apocalypse créée en 1947 par le Bulletin of Atomic Scientists, les six chapitres tournent autour du spectre de minuit qui sonnerait la catastrophe planétaire (en 2024, les aiguilles se positionnent à 23 h 58 et 30 secondes). Les trois premiers (« minuit approche », « heures sombres », « crépuscule ») portent sur l’évolution des combats, l’armement et les causes de la guerre. Les trois suivants (« le point du jour », « l’aurore », « le matin ») mettent en relief les voies possibles vers la paix. S’appuyant sur les productions scientifiques les plus récentes des war studies, le diagnostic initial est plutôt sombre.
Progressivement, des éclaircies apparaissent grâce à une pluralité de sources relevant de la théorie politique internationale, enrichies de références à des événements attestant l’effort fourni par des individus en faveur de la paix. L’auteur navigue avec aisance entre philosophes occidentaux de la paix perpétuelle, mais aussi écrits trop souvent occultés alors qu’ils participent d’un regard post-colonial revigorant (comme ceux de Mencius ou de Tagore).
Au-delà du caractère didactique du propos – dessiner les capacités militaires et les tendances stratégiques contemporaines –, trois raisons principales justifient la lecture de ce livre. Comme le relève Bertrand Badie dans sa préface, une force de l’ouvrage est de mettre l’accent sur la guerre comme choix, alors que d’autres voies sont possibles. Deuxième raison, l’invitation à imaginer un autre rapport à la guerre, moins fataliste et alarmiste. Bien qu’il ne cite pas Anders, et ne partage pas son pessimisme, l’auteur nous sollicite tant pour percevoir le pire que pour défendre d’autres sentiers. Les illustrations s’inspirent des expériences des relations entre Kennedy et Khrouchtchev, Reagan et Gorbatchev, ou encore des acteurs transnationaux et privés, à l’instar de Google qui, en mars 2019, refuse d’analyser des images contribuant aux attaques de drones au profit de Washington. Troisième raison de lire cet ouvrage : l’appel qu’il incarne. L’auteur défend la « créativité », avec notamment un contrat social mondial, qui ne serait cependant envisageable qu’avec une mutation en profondeur qui dépasserait la peur et choisirait l’espoir… Pour asseoir sa proposition, l’auteur s’appuie sur des concepts et pensées non occidentaux (Toda au Japon, par exemple).
Les géopoliticiens sceptiques les plus obtus pourraient conclure à un nouveau bréviaire de l’illusion, rêvant de rendre la guerre « invraisemblable ». C’est tout le mérite de cet ouvrage que d’aller à contre-courant. Cette construction de la paix ne pourra pas faire l’économie d’une transformation à l’échelle individuelle. Certes, en convoquant un nouveau contrat social mondial, l’auteur ne mobilise pas certaines sources (Held, Cicchelli ou Mesure notamment), ni les ordres relatifs limitant l’espace de paix (confédération des petites Républiques de Rousseau, cercles concentriques de Tucker…) De plus, certaines traditions de pensée traduites en pratique politique ne sont pas mentionnées, à l’instar du solidarisme, alors qu’elles peuvent aussi être considérées comme motrices dans une telle quête. Ces éléments n’altèrent pas le souffle des idées défendues, qui sont loin d’être farfelues.
Frédéric Ramel
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