Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Frédéric Charillon propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Dominique Merchet, Sommes-nous prêts pour la guerre ? L’illusion de la puissance française (Robert Laffont, 2024, 224 pages).

À la question qu’il pose en titre, le spécialiste de relations internationales et de défense de L’Opinion répond : non. Rappelons que l’auteur n’est nullement antimilitariste, ni défaitiste, ni décliniste : ses années d’expertise sur les questions militaires lui valent le respect des armées, avec lesquelles il entretient une relation souvent amicale – le livre est d’ailleurs dédié à la mémoire du général Georgelin.

Le respect mutuel n’impose ni silence, ni complaisance. À coups de chapitres pourtant agrémentés de citations de Michel Audiard (et même d’une pointe de Gérard de Villiers : « Un ange passe… etc. »), Jean-Dominique Merchet brosse un tableau relativement pessimiste. À vrai dire, il sonne l’alarme. Nous sommes dans un monde dangereux (Ukraine, Proche-Orient, montée des tensions en Asie-Pacifique…) et nous – Européens, mais surtout Français – peinons à en prendre conscience, ou du moins à nous y préparer.

Que pourrions-nous faire s’il nous arrivait la même chose qu’aux Ukrainiens ? Réponse officielle : « Ça ne nous arrivera pas. » Mais encore ? Mais encore nous sommes fiers d’être une nation dotée de l’arme nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Et puis ? Et puis nous avons une industrie d’armement importante, qui sait tout produire, ou presque.

Oui mais voilà : l’auteur, empêcheur de rayonner en rond, montre que tout ceci navigue parfois entre politique de l’autruche et poudre aux yeux. En cas d’agression classique massive sur notre territoire, nous serions en état de tenir un front de « 80 kilomètres, pas plus ». C’est court. L’arme nucléaire ? Elle ne s’emploie pas à tour de bras, ni pour régler tout type de problème. Contre un adversaire bien plus doté que nous (comme la Russie), elle signifierait l’annihilation. Notre industrie de défense ? Elle équipe une « armée bonsaï », qui sert davantage notre prestige (« nous acheter une place dans tous les clubs sélects de la planète ») qu’une quelconque efficacité militaire. Surtout, notre capacité de remontée en puissance est bien trop lente, plombée par notre déficit budgétaire et des années de désindustrialisation, en dépit du « bijou » que constitue notre BITD (base industrielle et technologique de défense).

D’erreurs de jugement en pesanteurs diverses (y compris culturelles), le pays se trouve en situation de grande vulnérabilité. La solution ne se trouve pas pour autant du côté d’un rétablissement du service militaire, mais plutôt dans une modernisation de l’approche de la réserve.

Pessimiste ? L’auteur ne croit ni en une « cinquième colonne », ni en un défaitisme congénital. Ce n’est pas là un ouvrage sur le thème « tout est fini, c’était mieux avant ». Tout n’est pas perdu, et l’auteur garde foi en la capacité des Français à faire face à un grave danger. Plus que la société, ce sont les responsables politiques qu’il appelle au réveil. Il propose des pistes, analyse des scénarios, que l’on peut discuter ou critiquer, mais qui ont le mérite de planter le décor, chiffres à l’appui, et de susciter un débat plus que nécessaire.

Jean-Dominique Merchet n’est pas homme à alerter sur notre armée et nos capacités de défense pour se défouler ou briller en société. Lorsqu’il exprime son inquiétude, éléments précis à l’appui et à l’heure où le monde est ce qu’il est, il serait judicieux de l’entendre.

Frédéric Charillon

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