Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2024 de Politique étrangère (n° 3/2024). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Fabrice Balanche, Les leçons de la crise syrienne (Odile Jacob, 2024, 352 pages).

Fabrice Balanche, universitaire spécialiste du Moyen-Orient, propose une synthèse lucide et documentée de la tragédie syrienne depuis 2011, confirmant l’ampleur du désastre d’un pays qui s’est vidé de plus de 8 millions d’habitants, a connu des destructions massives ainsi qu’une véritable partition, sous un gouvernement exsangue qui ne contrôle au mieux que les deux tiers du territoire. Le pays, déjà « en état de faillite à la veille de la révolte » de 2011, est désormais totalement sinistré.
La stratégie de contre-insurrection du régime de Bachar Al-Assad, à la fois défensive et violemment répressive, est bien décrite. Le pouvoir a manifesté une résilience qui a été sous-estimée, a bénéficié d’une adhésion d’une part importante de la population, de la minorité alaouite et chrétienne mais aussi d’une large part des sunnites. En face, les oppositions sont désunies, mal structurées et sous influence croissante de forces islamistes, notamment des Frères musulmans. Dans ce contexte de vide politique, les groupes djihadistes rivaux, Daech comme Al-Qaïda, prennent une influence croissante, sous différentes appellations. L’analyse du jeu ambigu des Kurdes syriens dirigés par le PYD, émanation du PKK, est également intéressante.
L’auteur montre comme la Russie s’est impliquée pour éviter la chute du régime et éviter de perdre son ancrage au cœur du Moyen-Orient, renforcé par des années de coopération civile et militaire. Les frappes aériennes russes indiscriminées ont fortement contribué à la répression. Il en est de même de l’alliance stratégique de la Syrie avec l’Iran, conclue dès les années 1980 et qui a conduit à l’envoi de troupes au sol : des milices composées de combattants chiites – libanais, irakiens ou afghans –, pilotés par la force Al-Qods des Gardiens de la révolution.
Fabrice Balanche est spécialement sévère à l’égard de la politique menée par les pays occidentaux en général, et la diplomatie française en particulier. Les hésitations américaines ont conduit Barack Obama à renoncer à une intervention militaire en 2013, alors que les lignes rouges de l’attaque au gaz de combat avaient été franchies. Cette décision a fait perdre aux États-Unis leur crédibilité, donnant une sorte de feu vert aux interventions russe et iranienne. Quant à la France, l’auteur souligne l’« Irrealpolitik » du président Sarkozy, passé d’une amitié affichée avec Bachar Al-Assad lors de sa visite à Paris en décembre 2010 à une position très en pointe dans le soutien au printemps syrien quelques semaines plus tard. Son successeur François Hollande devait suivre cette voie, appelant au départ du « bourreau de son peuple ». Cette politique se serait basée sur une analyse erronée de la résilience du pouvoir syrien et une fausse appréciation du comportement de la Russie et de l’Iran. En fait, elle s’est inscrite dans le cadre plus vaste d’une politique d’engagement en faveur des printemps arabes – affichée après la chute du président tunisien –, qui à terme se sont tous terminés par des échecs.
On trouvera en fin d’ouvrage un tableau du Moyen-Orient à la lumière du conflit syrien, qui décrit un déclin de l’influence des États-Unis comme de l’Europe et un basculement géopolitique au profit de la Russie et de la Chine. Si le constat est évident, il résulte d’un ensemble de causes qui dépassent largement la seule tragédie syrienne.
Ce livre, accompagné de cartes très pertinentes, mérite une lecture attentive. Il n’est pas sûr que les « leçons » que Fabrice Balanche dégage soient bien prises en compte.
Denis Bauchard
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