Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2024 de Politique étrangère (n° 3/2024). Mary-Françoise Renard propose une analyse de l’ouvrage de Frédéric Lemaître, Cinq ans dans la Chine de Xi Jinping (Tallandier, 2024, 288 pages).

Frédéric Lemaître propose une analyse de sujets centraux pour la politique et la société chinoises, à l’encontre de nombre d’idées reçues, en France notamment. En trente courts chapitres traitant du Parti communiste et de sa propagande, de la façon dont les citoyens défendent leurs droits, de la modernisation de la société, de la pratique religieuse ou des relations avec la Russie, le propos est illustré de nombreux échanges avec la population.

Il y a bien sûr un gouvernement autoritaire, dont le chef a organisé une modification de la Constitution lui attribuant un pouvoir à vie, et un Parti communiste omniprésent. Mais il y a aussi une société très dynamique qui, bien qu’on lui interdise pratiquement toute opposition politique, sait faire valoir ses droits et manifester pour défendre ses propres intérêts – mais pas ceux des Ouïghours ou des Hongkongais. La modernisation du pays a amélioré le niveau et la qualité de vie de la population. Si la grande pauvreté n’a pas été éliminée, contrairement à ce qu’affirme Xi Jinping mais comme l’a confirmé Li Keqiang lorsqu’il était Premier ministre, les écarts entre villes et campagnes se sont réduits, le désenclavement se faisant notamment grâce au très important réseau ferroviaire et routier.

L’auteur souligne que les Chinois n’ont jamais été aussi libres dans leur vie privée : liberté de choisir son emploi comme son conjoint – le mariage étant souvent considéré d’abord comme un investissement – ou le nombre de ses enfants. Bien que la pratique d’une religion ne soit pas autorisée, les Chinois sont nombreux à être adeptes du confucianisme, du bouddhisme ou du taoïsme, ce dernier étant d’ailleurs devenu politiquement correct.

Le cas du crédit social illustre l’écart entre le fonctionnement réel de la société et la vision que l’on en a souvent. L’auteur parle de « mythe de l’État orwellien » pour décrire un contrôle effectivement appliqué aux musulmans du Xinjiang, mais qui n’a pas été étendu au reste du pays. Ce système a été mis en place pour connaître l’état de l’endettement des entreprises et ne va pas, pour l’heure, au-delà. Ce livre rappelle que les Chinois sont très actifs sur les réseaux sociaux, par exemple pour refuser le système de reconnaissance faciale dans le métro de Pékin, même si la censure est très active. Le régime a intérêt à savoir ce qui se passe sur les réseaux sociaux et tient plus compte de l’opinion publique qu’on ne le croit souvent. La capacité d’expression de la société civile a été soutenue par le fort développement d’internet.

En revanche, il est un sujet inabordable : celui des droits de l’homme. Les débats sur la démocratie qui avaient commencé à se développer sont devenus extrêmement contrôlés dès 2008, avant même l’arrivée au pouvoir de Xi, et sont depuis confidentiels. Avocats, intellectuels, artistes critiques vis-à-vis du pouvoir sont réprimés, emprisonnés, souvent torturés, ainsi que leurs familles. Considérés comme des « ennemis de l’intérieur » manipulés par l’Occident, les activistes défenseurs des droits de l’homme n’ont plus leur place, malgré quelques tentatives comme le mouvement des Feuilles blanches de 2022. La censure s’étend maintenant au mouvement LGBTQ, dès lors qu’il s’organise pour former une communauté.

Ce livre au riche contenu aide à comprendre un pays souvent paradoxal pour les Occidentaux, qui s’affirme comme l’une des grandes puissances mondiales mais dont la stabilité semble parfois fragile, en dépit, ou en raison, du contrôle accru du Parti communiste.

Mary-Françoise Renard

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