Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie et climat de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Amy Myers Jaffe, Energy’s Digital Future: Harnessing Innovation for American Resilience and National Security (Columbia University Press, 2024, 248 pages).
Amy Myers Jaffe publie un livre qui contraste avec le discours industrialo-décliniste en vogue dans certains pays européens, où les préoccupations se concentrent sur les prix trop élevés de l’électricité ou du gaz et la faible productivité qui érodent les industries.
Aux États-Unis, l’auteure montre que la bataille qui se joue est tout autre : il s’agit de gagner la suprématie sur les technologies bas carbone et digitales de l’énergie qui révolutionnent déjà la manière dont on transporte, consomme, stocke l’énergie, se déplace, ou comment sont produits les biens et services. Après le rappel de la puissance américaine dans ce domaine, l’essor de la Chine (l’Europe n’est jamais mentionnée) est d’emblée identifié comme une menace existentielle. À l’image des GAFAM – qui à eux seuls investissent autant en R&D que le Japon –, les États-Unis sont appelés à redoubler d’efforts pour maîtriser et déployer les technologies d’automatisation, de pilotage intelligent, d’internet des objets, de stockage, d’optimisation des données… L’enjeu est d’avoir les politiques pour y parvenir.
L’auteure rappelle que le changement arrive très vite et très fort, depuis plus longtemps qu’on ne le croit. Au début du XXe siècle, les chevaux en ville sont remplacés par des véhicules à batterie, qui eux-mêmes sont ensuite remplacés après la Première Guerre mondiale par le véhicule à combustion interne. Il y a cent ans, Henry Ford et Thomas Edison envisageaient même des véhicules à motorisation hybrides !
Le défi pour la puissance publique est de ne pas contraindre les trajectoires, ou de penser le changement seulement par le simple remplacement des technologies, et non pas comme un nouveau système. Par exemple, la mobilité sera automatisée et partagée, le système électrique sera de plus en plus décentralisé, et les consommateurs y joueront un rôle grandissant. Derrière toutes ces technologies se cachent des enjeux de normes, de standardisation, des brevets et d’investissements, d’où une rivalité exacerbée avec la Chine qui est très avancée et opère à des rythmes et échelles d’innovation, de production et de déploiement sans précédent.
Ce qu’Amy Myers Jaffe ne dit pas, c’est combien toutes ces technologies, supposées être ultra-efficaces, comme l’impression 3D ou la 5G, vont consommer d’énergie et de matières premières, ni quand et comment elles seront déployées à grande échelle, et si in fine le bilan sera positif ou pas. En attendant, le monde continue de tourner au pétrole mais, comme le souligne l’auteure, le pic de demande n’est plus si loin et nécessitera une approche coordonnée pour organiser le déclin.
Une recommandation est particulièrement importante : pour espérer rester dans la course technologique, il faut s’ouvrir à ces changements. Cela vaut pour les États-Unis mais aussi pour l’Europe.
Marc-Antoine Eyl-Mazzega
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