Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Claude-France Arnould propose une analyse de l’ouvrage de l’Académicien Maurizio Serra, Munich 1938. La paix impossible (Perrin, 2024, 400 pages).

« Munich » est devenu un symbole de l’abandon et de la lâcheté dans la gestion des relations internationales, conduisant, au nom de la sauvegarde de la paix, à une guerre que les démocraties britannique et française se refusaient à reconnaître inéluctable et qu’elles devront quelques mois plus tard mener dans des conditions plus défavorables : un « canon négatif », écrit Maurizio Serra.

Son livre permet d’éclairer les parallèles historiques, en apportant à la compréhension des événements de 1938 la profondeur, la richesse, l’intelligence et la sensibilité de son analyse.

Serra donne à la conférence qui aboutit à l’abandon et au démantèlement de la jeune Tchécoslovaquie toute sa profondeur humaine et historique et, partant, sa complexité. Mettant en lumière le rôle de Mussolini et ses ressorts complexes, il enrichit une lecture souvent simplificatrice, qui tire une morale a posteriori des dilemmes et erreurs de l’époque.

Il présente les protagonistes en s’appuyant sur une riche documentation universitaire et sur les écrits des contemporains. La confrontation des sources, mais aussi le talent littéraire, la finesse psychologique de Maurizio Serra, donnent à son étude la crédibilité d’un travail d’historien en même temps que la séduction d’un texte littéraire. Qu’il s’agisse de Chamberlain, de Daladier, de François-Poncet ou de son homologue britannique Henderson, ambassadeur à Berlin, les portraits sont sans complaisance, mais propres à faire comprendre plutôt qu’à juger. C’est encore plus vrai de Mussolini et de ses diplomates, mais aussi de Beneš et des autres figures majeures du drame.

Maurizio Serra identifie les germes de la crise de 1938 dans les traités de paix et le « volontarisme brouillon » qui a présidé au démantèlement de l’Empire austro-hongrois. « Il était relativement facile de réduire l’ex-empire à un moignon d’État autrichien : encore fallait-il que ses successeurs se montrent viables et désireux de coexister. » La Tchécoslovaquie, principale bénéficiaire des traités, est rapidement devenue, par son évolution politique et économique, le « joyau de la couronne des traités de paix ». Coïncidant avec une période de détente, cette réussite a bientôt attisé l’hostilité et les convoitises. Parmi les atteintes portées impunément par Hitler aux accords de paix, Maurizio Serra souligne notamment les événements qui ont mené à l’Anschluss, l’indifférence à l’Ouest, et l’inquiétude qu’en ressent alors Mussolini.

Il présente celui-ci, en 1938, non comme le commis d’Hitler mais comme un fin tacticien, poursuivant les intérêts de l’Italie qui n’étaient pas, alors, l’alignement sur une Allemagne qui risquait de l’entraîner dans la guerre, trop tôt, et sur des théâtres qu’il ne voulait pas.

L’auteur détaille les clauses obtenues à Munich, contraires au plan Ribbentrop, et qui auraient pu, si la cohésion entre Londres, Paris et Rome avait été soutenue, limiter le démantèlement.

Nul ne sort indemne de cette remarquable étude, même si Chamberlain porte une responsabilité majeure. Ce qui en ressort n’est pas la tant l’accumulation des manquements des hommes, que la faiblesse de nations qui n’étaient pas remises de l’horrible saignée de la Grande Guerre et qui, malgré l’alliance d’hier, ne se faisaient pas confiance, et, au total, le « climat moral des années 1930 », « de démission généralisée d’une Europe incapable de retrouver son identité et d’en régénérer les sources ».

Claude-France Arnould

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