Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de Aaron Bateman, Weapons in Space: Technology, Politics, and the Rise and Fall of the Strategic Defense Initiative (MIT Press, 2024, 336 pages).

Pourquoi le processus de maîtrise des armements dans le domaine spatial initié à la fin de la guerre froide n’a-t‑il donné lieu à aucun accord ? En quoi cet héritage explique-t‑il les impasses rencontrées aujourd’hui ? Aaron Bateman apporte ici un début de réponse dans un ouvrage remarqué, écho d’une thèse de doctorat sur l’Initiative de défense stratégique (IDS).

Si l’ouvrage n’est pas le premier sur le sujet, il participe, sur la base d’archives récemment déclassifiées et minutieusement exploitées (essentiellement américaines et britanniques), à renouveler les réflexions en se concentrant sur la dimension technologique de l’IDS, en la replaçant dans le contexte large de la militarisation de l’espace et en établissant des liens avec la stratégie spatiale de l’administration Reagan. Bateman rappelle ainsi avec profit que les années 1970 et 1980 sont témoins d’importantes transformations dans les utilisations militaires de l’espace, incitant États-Unis et URSS à mieux intégrer les satellites dans leurs outils militaires et à développer des moyens antisatellites (ASAT). Ces développements n’ont pas participé à rendre l’IDS inévitable, mais constituent des éléments clés pour comprendre son histoire et expliquent pourquoi son ombre continue de porter quatre décennies plus tard.

L’« enchevêtrement IDS-ASAT », c’est-à-dire l’impossibilité de séparer les technologies antimissiles balistiques et antisatellites, est un thème récurrent du livre. Il démontre, selon l’auteur, que les choix technologiques ne peuvent être dissociés des décisions ou préférences politiques. En l’occurrence, l’IDS a été lancée non à l’issue d’un processus bureaucratique interministérialisé, mais d’une décision top-down. Ses implications en termes de défense et de politique étrangère étaient d’autant plus difficiles à maîtriser que l’IDS était avant tout un regroupement d’efforts de R&D, et qu’aucun acteur n’avait d’idée précise, a fortiori partagée, sur le système concret qui pourrait lui être associé, au-delà de la vision générale. La connexion avec les ASAT a imposé une vision maximaliste de la liberté d’action dans l’espace, et a fermé la porte à toute initiative féconde de stabilisation stratégique dans l’espace. Elle a également suscité un besoin d’explication constant auprès des alliés, notamment européens, inquiets face au risque d’une course aux armements dans l’espace et d’un élargissement du fossé technologique, mais ambivalents et désorganisés quant à la réaction à adopter.

L’IDS, présentée dans les discours de Reagan comme un outil de paix, impliquait en pratique le déploiement d’« armes spatiales » pouvant être utilisées de manière offensive. L’auteur donne une place de choix aux tensions générées par le projet avec l’URSS, les alliés et l’opinion publique. Ces tensions, qui courent tout le long de l’ouvrage, entrent en forte résonance avec notre actualité. Elles ont de fait pour point commun la question centrale, et toujours ouverte, du niveau acceptable de militarisation des activités spatiales. Alors que la normalisation de l’espace comme théâtre de conflictualité et la levée de certains verrous technologiques et industriels laissent envisager à nouveau la possibilité de parachever la vision de Ronald Reagan, la mise en perspective nouvelle proposée par Aaron Bateman apparaît non seulement bienvenue, mais extrêmement pertinente.

Guilhem Penent

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