Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Gilles Boquérat propose une analyse de l’ouvrage de Maleeha Lodhi (dir.), Pakistan: The Search for Stability (Hurst, 2024, 472 pages).

Employer la notion de « polycrise » au sujet de la situation au Pakistan n’est pas usurpé. Maleeha Lodhi, qui pilote cet ouvrage après avoir été notamment la première femme à diriger les représentations diplomatiques pakistanaises à Washington, à Londres et aux Nations unies, l’utilise face à des crises convergentes qui se renforcent mutuellement, rendant leur résolution encore plus insoluble. Autant de défis politiques, économiques, sociétaux, environnementaux et diplomatiques à relever, explorés dans dix-neuf essais par des experts pakistanais, praticiens comme universitaires.

À peine le pays s’était-il laborieusement doté d’une constitution qu’il était confronté en 1958 à un coup d’État préfigurant une alternance entre directions militaires et retours à l’exercice d’une démocratie parlementaire s’appuyant sur une élite surtout soucieuse de la défense de ses intérêts, et aux marges de manœuvre limitées par l’establishment. Une situation résumée par le vocable de la « démocratie hybride », à laquelle est consacrée la première partie du livre.

L’économie, peu compétitive, a fait les frais des soubresauts de la vie politique, renvoyant à plus tard les changements structurels indispensables, tels la diversification de la base industrielle, l’accent à mettre sur les exportations ou la valorisation du secteur privé. Des faiblesses longtemps masquées par l’aide étrangère obtenue durant la guerre froide et les guerres en Afghanistan. La dépendance vis-à-vis des financements extérieurs perdure pour prévenir un défaut de paiement. Le résultat est que le pays stagne à un revenu intermédiaire de la tranche inférieure, peu susceptible de répondre aux attentes d’une population où deux individus sur trois, souvent faiblement éduqués, ont moins de trente ans.

Les femmes ont vu leur sort osciller entre mesures progressistes et retours en arrière, face à des gouvernants qui dans l’histoire ont souvent cédé aux injonctions des courants fondamentalistes. Une autre thématique abordée est la forte exposition au changement climatique du Pakistan, responsable pourtant de moins de 1 % des émissions de carbone.

La dernière partie de l’ouvrage revient sur les relations entretenues par Islamabad avec quatre pays impactant le plus la conduite de sa politique extérieure, à savoir la Chine, l’Inde, les États-Unis et l’Afghanistan. Pékin est le partenaire dont Islamabad ne peut se passer, d’autant qu’il faut faire le deuil d’une relation privilégiée avec Washington, dorénavant plus intéressé par l’Inde. Si la centralité du contentieux sur le Cachemire demeure, le rapport de force joue de moins en moins en faveur d’Islamabad face à la politique de puissance de New Delhi. Quant à l’Afghanistan, le retour des talibans au pouvoir, espéré par certains, n’a en rien réduit la conflictualité des rapports.

Si le bilan ici dressé des 75 années d’existence du pays est tout sauf complaisant – il revient notamment sur les occasions manquées de placer le Pakistan sur une trajectoire susceptible d’en offrir une image plus positive –, les auteurs offrent pourtant des pistes qui pourraient permettre de redresser la barre. On peut seulement regretter que la question fédérale liée aux revendications ethno-nationalistes ne soit guère traitée. Cet ouvrage n’en reste pas moins une mine d’informations pour comprendre que la quête de stabilité du Pakistan constitue un enjeu dépassant amplement les frontières de ce pays.

Gilles Boquérat

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