Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Dominique David, rédacteur en chef de la revue, propose une analyse de l’ouvrage de Nicole Gnesotto, Choisir l’avenir. 10 réponses sur le monde qui vient (CNRS Éditions, 2024, 248 pages).

Sous une étrange couverture mêlant immeuble ravagé et ballons d’espoir, Nicole Gnesotto nous entraîne dans le « chaos planétaire » : celui qui, après la glaciation de la guerre froide, semble s’imposer avec l’installation d’un « monde fluide et fragile ».

Les trois dynamiques de la planète rêvée par les Occidentaux des années 1990 – la dominance américaine, la mondialisation enrichissante et le modèle de raison européen – sont forcloses. Sous les explications conjoncturelles de cette mutation, s’affirme un mouvement de fond : la contestation globale d’un « ordre » international interprété, hors de notre petit nombre de démocraties, comme une domination occidentale, forme modernisée, « civilisée », de l’exploitation des siècles derniers. « Ce qui s’analyse en Occident comme le début d’un long désordre […] est souvent perçu ailleurs comme le début de la modernité, la fin de l’obscurantisme, de la misère, de l’exploitation et de la stagnation de l’Histoire. »

Ceci étant reconnu – sans quoi toute analyse de crise s’en tiendrait au phénomène –, les problèmes concrets sont bien là, que parcourt Nicole Gnesotto. La multiplication des guerres réelles et l’extension de leurs espaces (cyber, espace…), alors qu’ont volé en éclats les dispositifs de contrôle et de régulation des armements élaborés pendant et à la sortie de la guerre froide. La crise des démocraties, au moment où elles sont assimilées à la domination occidentale, une crise souvent poussée par des revendications d’identité répondant à l’ouverture aux grands vents de la mondialisation. La crise de cette mondialisation elle-même : si l’ouverture est inscrite dans la dynamique des échanges d’aujourd’hui, et dans les technologies en développement, elle peut revêtir plusieurs formes, et l’on ignore celle qui, demain, pourra combiner logiques commerciales et logiques géopolitiques. Quant à la dynamique technologique, elle fait sans doute lever les interrogations les plus graves sur l’avenir des communautés humaines : à travers, par exemple, les réponses opposées au changement climatique ou l’intégration de l’Intelligence artificielle…

Demeurent certes les grandes questions géopolitiques, et l’auteur porte son attention sur trois défis essentiels. Les rapports Chine/États-Unis, tout d’abord : un partage de puissance pourra-t‑il s’établir ? Avec quels espaces d’action extérieure pour les deux acteurs ? L’avenir de l’Union européenne ensuite : demeurera-t‑elle, et dans quelles frontières, un pôle démocratique ? Pourra-t‑elle assurer seule sa sécurité ? Survivra-t‑elle dans la course à la croissance économique ? Enfin, la nécessité de repenser nos rapports de démocraties riches avec le « Sud global ». Parce qu’il n’est « global », justement, que dans la dénonciation de nos actions, il nous faut redéfinir nos relations, pays après pays, avec les grands acteurs du monde de demain et ceux qui nous importent d’abord, au regard de notre histoire ou de notre géographie.

Nicole Gnesotto signe un essai stimulant, concluant sur différentes approches possibles de la paix. On en retiendra deux messages fondamentaux : nous avons changé de monde parce que la grande majorité des États ont désormais les moyens de contester les logiques occidentales d’organisation du système international ; et nul modèle de reconstruction de ce système, plus ou moins tenable, ne s’impose aujourd’hui.

« Libre à nous, donc. », dit-elle…

Dominique David

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