Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Francesca Celi propose une analyse de l’ouvrage de Elena Volochine, Propagande. L’arme de guerre de Vladimir Poutine (Autrement, 2024, 424 pages).

Dans cet ouvrage vivant et imagé, le grand reporter Elena Volochine alterne théorie et pratique de terrains où l’idéologie est à l’origine de la plupart des conflits. De la Crimée à Sébastopol en passant par le Donbass, dix ans de vie et de conflits sont décrits de manière aussi réaliste que véridique. Deux vérités particulières émergent toutefois au long du récit.

L’auteure revient sur l’évolution de la pensée russe, qui depuis Staline est l’expression d’un patriotisme exacerbé. Une supra-réalité retrouvée en 1956 dans la Russie nationale de Ilyine, qui propose une vision binaire du monde où le bien et le mal s’opposent à la violence purificatrice. D’où l’importance du rôle de la propagande panslaviste appellant à combattre le mal par « la force de la vérité ». Une vérité conçue sur le ressenti national, la pensée étatique et l’appartenance à une idéologie caractérisée par l’esprit de libération et de justice du peuple, mais une vérité bâtie sur une éducation et des convictions ne laissant pas de place à l’instruction, au savoir, à la connaissance.

Or, si « la force est dans la vérité », Poutine comme Ilyine estime que les « petits peuples » n’ont pas de capacité de se constituer en État. Basée sur l’idée d’un État unique, la grande Russie fédérale ne peut donc accepter l’existence de régions autonomes. C’est pourquoi, fasciné par la tyrannie et le culte de Staline, le chef du Kremlin durcit sa propagande faisant du « nazisme » une « enveloppe discursive ». Le conflit ukrainien prend ainsi l’allure d’une guerre civilisationnelle de l’Occident contre la Russie, où les nationalistes ukrainiens, trahis, sont instrumentalisés par les « donneurs d’ordres » occidentaux.

La propagande devient alors un instrument de politique intérieure stigmatisant l’expansionnisme, l’aversion pour la démocratie et la soif de conquête sans redouter la vérité historique. D’où la guerre sainte contre le nazisme qui justifie l’attaque du 24 février 2022 pour se défendre contre l’influence américaine en Ukraine. Mais Poutine a déjà réécrit l’histoire dans son manifeste de juillet 2021, « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». Son histoire romancée de la Grande Guerre patriotique renvoie à la Falsification de l’histoire, pamphlet publié par le bureau de la propagande de guerre soviétique, qui remettait en honneur des faux historiques pour standardiser l’historiographie, transformant ainsi la discipline en une sorte de soft power – pour combattre ce que Lavrov définit comme un « terrorisme informationnel » entraînant la fin de l’existence historique de la Russie. Le Kremlin se dresse donc contre cet Empire du mensonge que représente l’Occident, en vue de la sécurité et du bien-être des peuples, au nom du droit suprême et historique d’être la Russie. La guerre d’Ukraine traduit un combat pour la souveraineté et la justice à l’origine du monopole de la vérité légitime, fondement de la vision du monde russe.

Ce long reportage accompagne le lecteur à travers cette région périphérique – l’okraïna –, où les mots se révèlent souvent aussi violents que les armes. Pamphlets, manifestes et discours se révèlent ici plus violents que la guerre.

Francesca Celi

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