Le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025) vient de paraître. La rédaction vous offre à lire l’un des articles du contrechamps : « Ukraine : l’année de la paix incertaine », écrit par l’ambassadeur de France Pierre Vimont.

L’Ukraine, qui entrera bientôt dans sa quatrième année de guerre, n’en finit pas de compter ses pertes humaines et ses destructions. Pourtant, les observateurs ne semblent s’intéresser aujourd’hui qu’aux perspectives d’une paix considérée à portée de main.
Est-ce une manifestation supplémentaire de cet « effet Trump » qui joue à plein depuis l’élection américaine ? À l’évidence, ayant annoncé très tôt durant la campagne électorale américaine qu’il réglerait la question ukrainienne en 24 heures, le nouveau président des États-Unis utilise cette rodomontade pour faire bouger les lignes et contraindre les protagonistes du conflit à se préparer à des négociations.
Pour le moment, ce sont davantage des considérations tactiques qui animent les principaux acteurs de la crise face au retour de Donald Trump. Pour autant, la perspective de discussions de paix est plus présente que jamais dans le paysage diplomatique, au point de donner le sentiment que 2025 pourrait être une année charnière pour la guerre d’Ukraine.
Cet espoir est-il raisonnable ? N’y a-t‑il pas en ce moment une forme d’emballement nourrissant l’illusion d’une paix possible ? Si des négociations devaient finalement s’engager, les conditions existeraient-elles pour instaurer une paix juste et durable ? Le risque est en effet de forcer le passage vers une paix qui se révélerait en définitive fragile et incertaine. C’est à l’aune de ces interrogations qu’il faut examiner le contexte actuel de la guerre d’Ukraine pour voir si une sortie de guerre par la négociation est possible, et si de telles perspectives sont de nature à garantir une vraie stabilité stratégique en Europe.
Le risque de la pensée magique
Parler de paix ne suffit pas. Encore faut-il que les principaux acteurs du conflit ukrainien soient décidés à s’engager dans cette voie. Or tout indique que les promoteurs d’une sortie rapide de la guerre ont tendance à prendre leurs désirs pour la réalité. L’observation des faits tels qu’ils se présentent actuellement conduit à davantage de prudence : si la lassitude gagne face à une guerre de haute intensité qui paraît sans fin, il n’y a pas encore de cristallisation propre à créer un mouvement irréversible vers la fin des hostilités.
La raison de cette situation se trouve dans l’incertitude qui domine sur le champ de bataille. Dans l’actuel rapport de force sur le terrain, aucun des deux belligérants ne peut espérer une percée stratégique capable de lui donner un avantage décisif. La Russie a sans doute gagné du terrain grâce à la lente conquête de territoires dans le Donbass, mais cette avancée n’est pas parvenue à briser la résistance des troupes ukrainiennes.
À ce stade, aucune des deux parties ne semble donc prête à prendre le chemin de la négociation. L’arrivée de Donald Trump au pouvoir pourrait cependant changer la donne. Elle est en tout cas le facteur dominant dans les calculs des dirigeants concernés par l’ouverture possible de négociations de paix.
L’Ukraine dans l’expectative
Du côté ukrainien, des signes de lassitude apparaissent dans l’opinion publique, à en juger par des sondages récents qui montrent un soutien croissant pour un cessez-le-feu. Mais ces mêmes enquêtes d’opinion indiquent qu’une majorité de la population ukrainienne n’accepte pas de concession territoriale pour le moment. De même, les dirigeants de Kiev, pourtant confrontés sur le terrain militaire à une situation moins favorable, ne sont pas disposés à lâcher prise et réclament avant tout plus de soutien de leurs partenaires occidentaux.
L’ombre du retour au pouvoir de Donald Trump a pu conduire le président Zelensky à faire des propositions nouvelles pour des discussions de paix, mais cette initiative est apparue avant tout comme un geste tactique visant à anticiper les pressions de la prochaine administration Trump. En outre, l’incursion ukrainienne dans la région de Koursk en Russie et le fait que cette avancée n’ait pas été repoussée jusqu’à maintenant par l’armée russe ne peuvent que renforcer les responsables à Kiev dans leur conviction qu’il faut poursuivre la guerre.
La Russie en confiance
L’Ukraine peut se sentir confortée dans son attitude de fermeté par le comportement symétrique de la Russie, qui est persuadée pour sa part que les développements actuels lui sont favorables. Malgré des pertes significatives dans les rangs de son armée, l’administration russe reste convaincue que le temps joue en sa faveur. Pour justifier cet optimisme, elle se prévaut de nombreux atouts : ressources humaines supérieures à celles de ses adversaires, économie de guerre plus performante que celles des alliés de l’Ukraine, capacité à contourner les sanctions occidentales, soutien résolu de la Chine, de la Corée du Nord et de l’Iran, enfin, échec des tentatives diplomatiques occidentales pour isoler Moscou des pays dits du « Sud global ».
Il ne faut pas ignorer pour autant les failles de la cuirasse russe. L’économie du pays, en dépit de sa résilience, manifeste des signes de faiblesse (inflation en hausse, taux d’intérêt élevés, croissance essentiellement portée par le secteur militaire) ; le recrutement de nouvelles troupes ne va pas sans difficulté, à en juger par l’absence de nouvelle mobilisation générale et par la nécessité d’aller chercher des effectifs parmi la population carcérale ; enfin, les pertes humaines sur le front des combats atteignent un niveau difficile à soutenir sur le long terme. La confiance affichée par la Russie doit donc être observée avec un certain scepticisme, même si, en l’absence d’une pression forte de Donald Trump, il paraît peu réaliste de miser sur une initiative de paix du côté de Moscou.
L’Amérique en quête d’un plan
De leur côté, les États-Unis laissent pour l’heure leurs alliés dans l’expectative. On sait le nouveau président attaché à mettre fin à l’aide américaine à l’Ukraine et à retirer son pays du conflit. Dans son entourage, les prises de position se multiplient mais demeurent souvent contradictoires. Son vice-président, J. D. Vance, s’oppose à toute adhésion de l’Ukraine à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), tandis que le général Keith Kellogg, envoyé spécial pour l’Ukraine, reconnaît l’utilité de l’aide américaine pour préserver l’équilibre entre les deux belligérants.
Le choix final de Donald Trump demeure donc imprévisible, alors que le président américain indique vouloir se donner plus de temps pour trancher que les 24 heures annoncées initialement. S’il décide le retrait unilatéral du soutien américain à l’Ukraine, il peut espérer la fin du conflit mais il prend le risque d’ouvrir la voie à une victoire de la Russie, laquelle ne manquerait pas d’être présentée comme un revers majeur pour les États-Unis. Ce serait l’« Afghanistan de Donald Trump », selon l’expression souvent entendue à Washington dans un parallèle avec le retrait désastreux de Kaboul effectué par l’administration Biden. Un tel échec serait exploité par la Russie et la Chine pour poursuivre leurs visées expansionnistes en Europe et en Asie.
Cette perspective peut convaincre Donald Trump de maintenir son assistance à l’Ukraine, voire de l’accroître, pour forcer son homologue russe à accepter d’entrer en négociation. Compte tenu de l’actuelle disposition d’esprit du président américain et de l’intransigeance russe qui ne semble pas faiblir, il ne faut pas exclure que la négociation de paix, si et quand elle s’engage, se tienne sur des bases qui feront la part belle aux revendications de Moscou.
En tout état de cause, le rôle de l’Amérique de Trump apparaît crucial dans toutes les hypothèses de sortie de crise. En particulier, le mouvement que pourra imprimer la nouvelle administration américaine après son arrivée au pouvoir constituera un facteur important pour la suite des événements, soit en bousculant l’équilibre observé sur le terrain militaire, soit, au contraire, en se donnant le temps de contacts approfondis avec ses alliés et la partie russe. […]
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Lisez en intégralité l’article de Pierre Vimont ici.
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Ne manquez pas d’écouter l’épisode du podcast Le Monde selon l’Ifri, avec Pierre Vimont, prochainement enregistré.
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