Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Lauric Henneton propose une analyse de l’ouvrage d’Amy Greene, L’Amérique face à ses fractures. Que reste-t-il du rêve américain ? (Tallandier, 2024, 256 pages).

Le débat sur le déclin des États-Unis fait rage depuis une douzaine d’années et l’élection de Donald Trump en 2016 a notamment traduit la colère d’une partie d’un électorat qui s’est senti trahi par les deux grands partis traditionnels.
L’ouvrage d’Amy Greene est très copieusement documenté. Les dix-sept chapitres qui composent ses cinq grandes parties sont brefs et d’une lecture aisée.
La première partie, un « tableau clinique d’un pays en souffrance », est celle qui aborde le plus directement la déliquescence du « rêve américain », dans son acception immatérielle d’une vie épanouissante. Elle aurait pu être davantage historicisée, mais la concision du propos en aurait pâti. Le tableau est sans appel : le surarmement comme problème de santé publique, les épidémies d’obésité et d’opioïdes, liées aux inégalités géographiques et sociales mais également au désespoir causé par le déclassement économique, le « système de santé défaillant » et l’affaissement du tissu social – les fractures entre riches et pauvres, diplômés et non diplômés –, toutes questions clairement esquissées.
La deuxième partie, sur les luttes pour l’égalité (féminisme, racisme), est plus historicisée et narrative, reflétant un point de vue progressiste classique. Elle s’inscrit dans le cadre d’un rêve américain considéré comme une aspiration à l’égalité.
La troisième partie, consacrée à la brutalisation de la vie politique, aborde non seulement l’impuissance du politique à résoudre les problèmes abordés dans les parties précédentes mais également le délitement de la démocratie américaine, autre variante du déclin et autre manifestation de l’exceptionnalisme inversé (negative exceptionalism), un concept étrangement absent du propos en dépit de sa nature particulièrement éclairante.
La quatrième partie porte sur la perte d’influence des États-Unis sur la scène internationale. Les grands dossiers géopolitiques (Chine, Ukraine, Israël-Gaza) sont abordés à grands traits, et la partie se termine sur la perte de crédibilité des grandes universités du fait de leurs prises de position exagérément marquées à gauche, accentuant la fracture perçue entre le peuple et les élites déconnectées, et donc le populisme.
La dernière partie présente la jeunesse américaine de façon très optimiste, alors qu’elle vote peu, s’informe peu et mal, et est nettement plus isolée socialement que les générations antérieures. Cette lecture progressiste considère que les jeunes d’aujourd’hui sont les adultes de demain, et qu’ils remettront le pays à l’endroit en votant « bien » – pour des Démocrates, seuls à même de résorber les inégalités et à guérir les maux abordés dans l’ouvrage. Si cette grille de lecture ne remet pas en question le travail de documentation présenté par Amy Greene dans les premières parties, elle pâtit néanmoins de la réalité du scrutin de 2024, où les jeunes n’ont pas voté comme ils auraient « dû », particulièrement les jeunes hommes – ce qui révèle une fracture entre hommes et femmes qui semble destinée à se creuser. Les résultats de l’élection de novembre 2024 ne rendent pas l’ouvrage totalement obsolète, bien sûr. Le tableau dressé reste pertinent sous une seconde présidence Trump, qui sera l’occasion de mesurer sa capacité à « rendre sa grandeur à l’Amérique ».
Lauric Henneton
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