Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Cyrielle Maingraud-Martinaud propose une analyse de l’ouvrage de Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Géopolitique du Nigeria (Presses universitaires de France, 2024, 192 pages).

Encore largement méconnu en France, le Nigeria est souvent réduit à des stéréotypes négatifs, que cet ouvrage s’efforce de déconstruire.
Sortant d’une grille de lecture identitaire essentialiste, l’auteur resitue l’historicité des catégories ethniques et religieuses. L’État nigérian incarne toujours les contradictions issues du colonialisme : un champ politique et économique accaparé par une élite à la fois bourgeoise et « traditionnelle » ; un État faible aux infrastructures limitées ; une économie largement extravertie et fondée sur l’exploitation des matières premières.
Des dynamiques exacerbées par la guerre civile (guerre du Biafra de 1967 à 1970), qui a renforcé le rôle central des militaires et la prégnance de l’ethnicité dans le champ politique. Ce contexte continue de produire une société où la violence s’est imposée comme un outil majeur de mobilisation politique, largement en réponse à celle de l’État, dont les forces de sécurité agissent impunément.
Conséquence de cette violence : l’insécurité généralisée, y compris dans le champ économique. La dépendance du pays d’un secteur pétrolier dysfonctionnel, combinée à l’affairisme des élites politico-économiques, au manque chronique d’investissements et à la dégradation continue des services publics entrave toute possibilité de diversification économique. Les conflits liés à l’accès aux ressources sont fréquemment réduits à des oppositions religieuses ou ethniques, mais l’auteur montre que ces interprétations simplistes masquent des mécanismes plus complexes – notamment l’instrumentalisation politique du religieux dans un système où la compétition pour le contrôle des ressources nourrit la corruption et accentue les inégalités.
L’analyse du retour à un régime civil en 1999 révèle une transition inachevée : des élections régulières mais défaillantes et un fédéralisme, conçu pour prévenir les velléités sécessionnistes après la guerre civile, qui n’a fait que décentraliser la corruption sans redistribuer les compétences. Par ailleurs, malgré des ambitions historiques, le dynamisme de la scène artistique et l’influence croissante de la diaspora, la faiblesse structurelle de l’État contraint largement le potentiel diplomatique du pays.
Introduction éclairante et accessible, le format de l’ouvrage impose des choix thématiques et des simplifications que l’auteur reconnaît lui-même. Sa focalisation sur des sujets comme l’insécurité, l’économie pétrolière et les dynamiques religieuses permet de déconstruire des clichés persistants. Bien que logique et pertinent, le choix de ces focales restreint l’exploration d’autres thématiques qui auraient pu proposer une perspective plus nuancée, moins pessimiste : la question du changement climatique n’est que rapidement mentionnée ; l’impact de la diaspora et l’influence culturelle du pays sont discutés dans le dernier chapitre mais sans rendre compte de leur rôle majeur dans le monde, notamment afro-diasporique ; l’analyse des mouvements sociaux est trop peu poussée, alors qu’elle aurait permis de montrer que les formes de résistance à l’État ne se limitent pas aux insurrections violentes. Enfin, accorder une place plus importante aux travaux académiques nigérians dans la bibliographie aurait permis de faire découvrir au public français des perspectives qui, similaires à celle de l’auteur, permettraient de mieux saisir la complexité d’un pays en constante évolution.
Cyrielle Maingraud-Martinaud
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