Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Diana-Paula Gherasim, chercheuse au Centre énergie et climat de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Charbonnier, Vers l’écologie de guerre. Une histoire environnementale de la paix (La Découverte, 2024, 324 pages).

Cet ouvrage entend marquer le changement de paradigme des politiques climatiques au tournant des années 2020 : avec la guerre en Ukraine, pour la première fois, la transition énergétique devient une question de sécurité nationale, au-delà du devoir moral de lutter contre le changement climatique. La sobriété devient une arme à la portée de tous pour résister à l’agresseur et ainsi, dans la conflictualité, le climat devient partie prenante à la géopolitique.

Si les énergies fossiles ont été la cheville ouvrière du projet de « pacification » du monde à la suite de la Seconde Guerre mondiale, en alimentant les infrastructures industrielles et les idéaux de croissance, de productivité et d’abondance, la crise climatique est alors la conséquence de la « paix du carbone ». Au-delà d’une écologie de temps de guerre, cet ouvrage prône l’avènement d’un réalisme climatique (en directe opposition avec l’« environnementalisme libéral », synonyme d’inaction), dans le cadre duquel la conflictualité et les déstabilisations seront inévitables, et pourtant en fin de compte plus utiles pour faire avancer la lutte contre le changement climatique.

L’auteur critique la platitude de la gouvernance climatique mondiale, fondée sur des consensus abstraits, manquant des outils contraignants de concrétisation et déconnectée des réalités de production et de consommation des énergies fossiles. Il oppose au « cadre coopératif » mis en place par les Nations unies un « cadre compétitif », qui prend forme sous l’impulsion des politiques industrielles bas carbone de la Chine, engendrant des actions similaires d’autres puissances pour capter les bénéfices économiques de la transition.

Il est pourtant pertinent de se demander si, face à l’accélération des conséquences du changement climatique qui posent une menace existentielle, il est judicieux de se reposer sur des politiques industrielles plus ou moins efficaces ou stables (voir la mise à l’épreuve de l’Inflation Reduction Act aux États-Unis sous Trump 2), qui de plus ne seraient pas véritablement accompagnées par une logique de réduction des énergies fossiles ni par un impératif d’inclusion des pays en développement aspirant à leur propre industrialisation. Malgré les doutes émis sur la capacité des États à coopérer pour combattre le changement climatique, le livre propose un exercice de coordination d’un « désarmement fossile mutuellement accepté » mené par une coalition d’États, qui permettrait de planifier le déclin des énergies fossiles. Entre les États qui réclament leur droit à se développer en utilisant les énergies fossiles, ceux qui développent leur exploitation du gaz et du pétrole à des fins économiques et géopolitiques, ceux qui bénéficient d’une réelle maîtrise des technologies bas carbone et seraient en passe d’acquérir une domination globale, et ceux pour qui la déstabilisation climatique sert à l’affaiblissement de l’adversaire, un traité de désarmement fossile semble un désidérata encore éloigné.

L’ouvrage de Pierre Charbonnier éclaire la difficulté d’assurer une conciliation entre les logiques de puissance (au cœur la sécurité et la maîtrise des ressources) et le respect des limites planétaires, notamment face aux paradigmes philosophiques et économiques en place. Alors que l’accélération du changement climatique ne connaît pas de répit, le monde glisse vers un impossible retour à la paix.

Diana-Paula Gherasim

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