Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Maïté de Boncourt propose une analyse de l’ouvrage de Michael L. Ross, The Oil Curse. How Petroleum Wealth Shapes The Development of Nations (Princeton, NJ, Princeton University Press, 2012, 296 pages).

00-RossLe thème de l’ouvrage, à savoir les effets néfastes des ressources naturelles sur la gouvernance et l’économie d’un pays, est un classique. Un lecteur avisé pourrait donc se méfier du titre, la malédiction pétrolière, et s’attendre à une réplique des nombreux ouvrages déjà existants, illustrant sans pour autant la prouver la théorie selon laquelle la richesse pétrolière affaiblit l’économie d’un pays, le plonge dans la dictature et l’entraîne dans un conflit qui ne se termine qu’au tarissement de la ressource.
Si l’auteur commence par avouer être tombé dans ce cliché dans une précédente publication du Revenue Watch Institute, il réussit ici à montrer que la réalité est plus subtile qu’elle n’en a l’air. Certes, le pétrole n’a pas ralenti la croissance économique des pays producteurs, qui n’ont pas non plus radicalement viré à l’autoritarisme et dont les dictateurs ne se sont pas systématiquement rempli les poches aux dépens de la population, comme le montre entre autres la baisse de la mortalité infantile et le bon niveau d’éducation dans nombre de ces États.
Nombre d’observateurs constatent, selon la théorie connue du dutch disease, que les ressources naturelles et l’exportation de ces ressources ont des effets néfastes sur l’industrie manufacturière, mais que si les revenus pétroliers compensent les pertes dans d’autres secteurs, cela reste un moindre mal.
Michael L. Ross donne une nouvelle lecture de ce phénomène. Il montre qu’en réalité les effets sont beaucoup plus pernicieux qu’escompté. Bien que le phénomène conserve des symptômes similaires à ceux des maladies liées aux ressources naturelles étudiées dans les années 1970, les années 1980 ont en effet changé la donne. La fin du système de Bretton Woods, la succession de nationalisations qui ont mis fin au règne sans partage du cartel des sept soeurs et la diminution de l’offre américaine qui a laissé le marché sous tension ont affecté radicalement la structure du marché pétrolier. Depuis, l’économie des pays producteurs dépend de plus en plus de l’État ; un État de plus en plus gros, lui-même soumis à la volatilité accrue de ses revenus pétroliers.
L’auteur déroule ensuite ce fil conducteur. Les gouvernements peinent à juguler la volatilité, d’autant qu’ils sont tentés d’utiliser immédiatement ces revenus pétroliers à des fins politiques. La structure de l’économie ralentit quant à elle l’émancipation des femmes par le travail. Par conséquent, le taux de fécondité augmente, diminuant d’autant la croissance per capita. L’intérêt à s’accaparer la ressource pour une jouissance immédiate s’en trouve accru. Les pays producteurs, et en particulier les pays à faible produit intérieur brut (PIB) par tête, ont deux fois plus de chance de voir un conflit éclater.
Un autre cliché serait de juger seuls responsables les gouvernements. L’auteur se distingue ici aussi. Il pointe du doigt les marchés de crédit, la pression des populations à dépenser et la difficulté objective de mettre en place des politiques contre-cycliques pour pallier la volatilité de l’économie et le financement des conflits par la complicité d’acteurs tiers.
Le tout forme un cercle vicieux, que l’auteur appelle la malédiction pétrolière, oil curse. Les solutions présentées, s’il y en a, sont quant à elles plus discutables. L’auteur en revient à son combat de toujours : la nécessité de transparence de tous les acteurs, y compris des pays importateurs.

Maïté de Boncourt

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