Cette recension est issue de Politique étrangère (2/2016). Martin Untersinger, journaliste au Monde, propose une analyse de l’ouvrage de David Lyon, Surveillance After Snowden (Cambridge, Polity Press, 2015, 120 pages).
Voici maintenant trois ans qu’Edward Snowden a commencé à transmettre à des journalistes des documents secrets issus de la National Security Agency (NSA), leur permettant de mettre au jour le tentaculaire appareil de surveillance mis en place par les États-Unis. Dans ce court livre, le sociologue David Lyon offre une perspective bienvenue sur l’avalanche des informations parues depuis 2013, et un utile panorama des nombreux travaux universitaires sur la surveillance menés aux quatre coins du monde.
Il dégage ici avec succès les caractéristiques principales de la surveillance technologique de masse contemporaine. Elle est d’abord automatique, puisque les moyens techniques font souvent l’économie de l’intervention humaine. Il s’agit davantage, écrit-il d’une « procédure de management routinière » que d’une « sombre conspiration étatique ». La surveillance électronique massive a également, rappelle-t-il, été justifiée par la lutte contre le terrorisme, si bien que les deux termes sont, dans le discours étatique, quasiment devenus synonymes. Lyon note logiquement le glissement des moyens techniques de la surveillance de cette lutte contre le terrorisme vers des secteurs plus traditionnels de la puissance publique, comme la lutte contre la criminalité. Favorisant de fait le rapprochement, dangereux, entre renseignement et law enforcement.
Cette focalisation de façade sur le terrorisme, couplée à une volonté compréhensible d’anticipation de la menace, et à une croyance naïve dans la toute-puissance du big data et de l’analyse des données collectées explique de nombreuses dérives de l’appareil de surveillance. L’auteur explique qu’à l’heure des algorithmes et de l’expansion des moyens techniques de surveillance, le pouvoir réside davantage dans la manière dont les données sont analysées, dont elles produisent du renseignement, que dans leur simple collecte.
Lyon insiste également sur la proximité croissante entre entreprises privées et puissance publique. Cette tendance, particulièrement prégnante aux États-Unis, s’incarne dans le passage des personnels de l’un à l’autre secteur, tout comme des moyens techniques utilisés, voire de la surveillance elle-même. Les révélations de Snowden ont montré que l’État américain puisait dans des données collectées par les entreprises, notamment les géants du numérique, sans parler du fait que les pratiques marketing de certaines entreprises sont très proches, voire vont au-delà, de ce que peuvent se permettre les États.
L’auteur consacre également de nombreuses pages au concept de vie privée. Il partage et défend l’idée, à première vue passée de mode, qu’elle est en réalité le socle des droits fondamentaux que sont la liberté d’expression ou d’association. Il rappelle aussi qu’à une époque où une large part de nos vies se déroule en ligne, la question de la captation des données personnelles est un enjeu hautement politique et une question de pouvoir sur les citoyens.
Le livre de David Lyon est un livre militant, et l’auteur s’attache au fil des pages à persuader son lecteur des effets néfastes de la surveillance de masse. Il tente enfin – trop brièvement – de donner des clés pour combattre cette dernière, en prônant pour ce faire un mélange de solutions légales, politiques et technologiques. Il rejette l’hypothèse selon laquelle ces dernières seules suffiraient, et appelle aussi à des réformes légales des appareils de surveillance, ainsi qu’à une mobilisation accrue des citoyens contre la collecte des données.
Martin Untersinger
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