Cette recension est issue de Politique étrangère (2/2016). John Seaman, chercheur au Centre Asie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Ho-fung Hung, The China Boom: Why China Will Not Rule the World (New York, Columbia University Press, 2016, 264 pages).
La Chine a bien passé un cap depuis la crise financière mondiale de 2008, et notamment depuis l’arrivée du président Xi Jinping à la tête du pays en 2013. Pékin a abandonné une stratégie de profil bas et est entrée dans une phase d’activisme sur la scène internationale. Mais avec cette nouvelle approche, la Chine peut-elle – ou veut-elle – transformer de manière fondamentale l’ordre libéral international ?
Nombreux sont ceux qui prévoient un nouveau monde sous tutelle chinoise, comme Martin Jacques, qui annonce, dans son livre When China Rules the World (Allen Lane, 2009) la fin d’un monde occidentalisé et la restauration d’une ère chinoise. D’autres, comme Michael Pillsbury dans The Hundred-Year Marathon (Macmillan, 2015), affirme l’ambition du leadership chinois pour supplanter la puissance américaine. Mais dans The China Boom, Ho-fung Hung, associate professor de sociologie à l’université Johns Hopkins aux États-Unis et originaire de Hong Kong, défend de manière sérieuse l’argument que la Chine ne se montrera pas puissance révisionniste. En dépit de sa quête de suprématie, le pays s’est déjà intégré à l’ordre international néolibéral et ne fera, au final, que préserver le statu quo général.
Hung développe d’abord une analyse historique de la lutte chinoise avec la modernisation (et en particulier le capitalisme) depuis la dynastie des Qing en 1650. Pendant au moins deux siècles elle rejette le capitalisme via un contrôle minutieux des marchés par l’État. À partir des années 1850, la résistance commence à s’éroder selon l’auteur, et c’est ironiquement pendant la période de Mao Zedong que la Chine se dote d’une masse de capital (un stock massif de main-d’œuvre rurale, bien éduquée et efficace, et un réseau important de capitaux et d’infrastructures détenus par l’État) nécessaire pour permettre, une fois libéralisé, l’essor économique spectaculaire que l’on sait. Plutôt que d’émerger en opposition à l’ordre international existant, la Chine en profite pleinement et s’intègre au circuit financier et commercial à tel point que, pour elle, s’opposer au système libéral serait autodestructeur.
Et pourtant la Chine conteste clairement l’hégémonie et le leadership américains. Néanmoins, pour l’auteur, si la Chine est la première puissance « capitaliste » à s’opposer aussi fermement à la domination militaire des États-Unis, elle soutient malgré elle l’hégémonie économique de ces derniers via l’addiction de son économie à l’export, et son énorme rachat de la dette américaine via des bonds de trésors émis en dollars US. Autre problème pour la Chine, pourtant bien étudié par ailleurs : les déséquilibres persistants de son économie – la dépendance à l’export, mais aussi vis-à-vis des investissements publics et de la dette – risquent de nuire sérieusement à la croissance et au développement. Pour retrouver une croissance durable et s’opposer à l’hégémonie économique américaine, les prescriptions de l’auteur sont claires (et constituent déjà un mantra pour les autorités chinoises) : rééquilibrer l’économie chinoise en dopant le revenu des ménages et en renforçant la part de leur consommation dans l’économie. Mais même si la Chine retrouve son souffle, explique Hung, elle sera au mieux « une nouvelle puissance au sein d’un vieil ordre mondial ».
John Seaman
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