Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Carole Mathieu, chercheur au Centre Energie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Geneviève Férone-Creuzet, Le crépuscule fossile  (Stock, 2016, 256  pages).

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Trop souvent résumée à une question d’ordre technique ou de simple passage d’un schéma d’approvisionnement à un autre, la transition énergétique est abordée ici dans sa dimension civilisationnelle. L’auteur s’est investi de longue date dans l’économie du développement durable et a notamment créé la première agence française de notation sociale et environnementale. Dans cet ouvrage, il met à profit sa connaissance des cercles de pouvoirs pour pointer le primat absolu des énergies fossiles, leur domination industrielle et leur poids dans l’histoire, la géopolitique et l’organisation des sociétés. En rompant avec la dépendance fossile, la transition vers des énergies alternatives marquerait l’avènement d’une nouvelle civilisation, que l’auteur appelle sobrement « post-fossile », en attendant de pouvoir mieux en cerner les contours.

Les trois premières parties de l’ouvrage retracent l’histoire de la dernière civilisation, depuis la ruée vers l’or noir et l’émergence d’une industrie pétrolière mondialisée, jusqu’à l’ivresse d’une consommation sans limite et la crainte d’un dérèglement incontrôlable du climat qui imposera de laisser sous terre une partie des ressources. Dans ce récit condensé, l’auteur souligne à juste titre notre rapport ambivalent aux énergies fossiles : adulées pour leur facilité d’extraction, la multiplicité de leurs usages et leur contribution indéniable au développement économique, elles sont aussi décriées pour les logiques de captation des ressources et les dommages environnementaux qu’elles produisent. Les énergies fossiles ne sont ni bonnes, ni mauvaises, elles sont ce que les hommes en ont fait, à savoir le socle de leur civilisation.

Les lecteurs peu familiers des enjeux énergétiques trouveront dans cet ouvrage de précieuses mises au point sur des concepts devenus incontournables comme le peak oil, les gisements non conventionnels, l’anthropocène, ou encore le risque carbone. Les autres auront plus grand plaisir à lire les quatrième et cinquième parties, qui engagent une réflexion prospective. En écho aux travaux d’Edgar Morin, l’auteur ne prône ni la foi dans le progrès technique ni la décroissance, mais plutôt l’éveil des consciences. En somme, taxer le carbone ou encourager des programmes d’efficacité énergétique ne demanderait rien d’autre qu’un sursaut de courage politique. Certes convaincante, cette conclusion tend aussi à déplacer la discussion : outre les leviers financiers et juridiques suggérés par l’auteur, comment s’assurer que l’entrée en responsabilité se produira en temps voulu ?

Si cet ouvrage n’avance pas de pistes réellement novatrices pour accélérer le crépuscule fossile, il pose la question fondamentale du monde qui vient. Avec la production d’énergie décentralisée pourraient émerger de nouvelles formes d’organisation sociale, fondées non plus sur l’intérêt de l’individu mais sur celui de la communauté. L’auteur entrevoit ainsi la possibilité de nouveaux modèles de création autour du partage de la connaissance et des biens communs. Puis il émet l’hypothèse moins réjouissante d’un remplacement des monopoles fossiles par de nouveaux empires numériques qui tireraient cette fois-ci leur puissance de l’exploitation des données. On pourra regretter que Geneviève Férone-Creuzet ne nous guide pas davantage dans ce nouveau champ des possibles, mais son propos est avant tout une mise en garde, un appel à penser la civilisation post-fossile et à s’y préparer.

Carole Mathieu

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