Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse du dernier ouvrage de Philippe Moreau Defarges, La Tentation du repli. Mondialisation, démondialisation (XVe-XXIe siècles) (Odile Jacob, 2018, 248 pages).
Il y a trois thèses dans cet essai. La première : l’histoire du monde moderne est celle d’une ouverture, et d’un élargissement, constants, même si contrariés par l’événementiel des conflits et des reculs. La deuxième : l’élargissement et ses reflux forment un couple insécable, action-réaction naturelles, le deuxième n’étant qu’un soubresaut ne contrariant pas l’ouverture de fond. La troisième : la mondialisation actuelle a déjà modifié le monde, même si semblent s’opposer à elle de lourds acteurs étatiques.
La mondialisation est un destin. La plus grande partie du livre de Philippe Moreau Defarges est consacrée à étayer ce propos, à travers la description de « trois déferlantes » : celle que symbolise la découverte des Amériques ; celle des révolutions politiques et industrielles qui conduisent au « monde fini » de Paul Valéry ; celle qui s’est ouverte dans la seconde moitié du XXe siècle. Extension de l’espace des échanges commerciaux, expansion des espaces de contrôle politique, unification des espaces mentaux par l’élargissement des communications : ce monde qui continue à se diviser, à se faire la guerre, à se conquérir, devient progressivement plus un, et se construit comme monde humain. Jusqu’à le faire, aujourd’hui, largement par-dessus les États.
La dynamique d’expansion de la connaissance du monde, et des fantasmes de contrôle de plus large que soi, est certes au cœur de notre histoire. Mais forme-t-elle pour autant un monde un ? C’est le fond du débat qu’ouvre ce livre. En son cœur, campe finalement l’idée que l’ensemble des processus historiques conduit à une unification généralisée des modes de pensée, des types d’économies, des logiques juridiques, des régulations, etc. On pourrait, au contraire, arguer que les divisions et les inégalités générées par l’actuelle mondialisation – pas seulement conjoncturelles comme l’auteur semble le suggérer, mais structurelles : voir les effets de la financiarisation incontrôlée des économies occidentales – conduisent, sous l’apparence d’une unité généralisée, à la juxtaposition de plusieurs mondes, irréductibles les uns aux autres. Il ne suffit pas de constater que le téléphone portable envahit l’Afrique pour en conclure que l’Afrique devient un sujet libre de la mondialisation…
Cette vision d’une mondialisation irrépressible, égalisante, efficace et légitime, phénomène lui-même un, n’est-elle pas, en réalité, typiquement occidentale, part intégrante d’une philosophie du progrès dont les années 1990 ont décrit l’acmé et les limites : rêve d’un monde uni autour du doux commerce, en marche vers les mêmes valeurs, et régulé par les polices des puissances – même si ces puissances changent ?
Et si le monde était et restait divers, et contradictoire, tout fini qu’il soit ? Après une brillante apologie des vagues de mondialisation, Philippe Moreau Defarges semble s’arrêter à un constat plus mélancolique. Comme si, sous sa certitude que le monde s’unifiait irrépressiblement, il devait constater que Donald Trump, Xi Jinping, Vladimir Poutine ou le Brexit annonçaient une tout autre histoire…
Essai brillant, bourré d’informations et de visions dynamiques, ce livre rend compte d’un débat fondamental pour le temps présent. Penser la gouvernance du monde d’aujourd’hui, est-ce d’abord aider la dynamique de ce qui l’unit ; ou prendre en compte la juxtaposition de mondes qui restent étrangers l’un à l’autre ? Ou, plutôt faire les deux, en acceptant la complexité d’un monde politique trop souvent pensé avec des idées simples ?
Dominique David
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